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mercredi, 13 mars 2019

POURQUOI DES GILETS JAUNES ?

C'est Marie (de Montpellier) qui parle : 

« Je n'allais pas sur les points de blocage, mais après l'intervention de Macron, j'ai pleuré.

– Pourquoi ?

– J'ai pensé à mes enfants. C'est bientôt Noël, et je vais leur offrir quoi ? Ils ne me réclament pas des Game Boy, des téléphones à 600€, des choses impossibles, même des livres, même un bon petit dîner, je n'ai pas de quoi. Je fais des boulots qui sont toujours précaires, et ça se termine au Secours Populaire à la fin du mois. J'ai écouté Macron, et j'ai bien compris : rien ne va changer. Rien ne va changer...

– Si, cent euros de plus pour les smicards.

– Mais je ne la touche pas, la prime d'activité ! Le Smic, je ne connais pas. Le dernier métier que j'ai fait, c'est auxiliaire de vie sociale, parce que j'ai un diplôme d'animatrice pour personnes âgées. Tu commences à 8 heures du matin chez madame Machin, tu termines à 8 heures du soir chez madame Truc, tu manges un casse-croûte dans ta voiture, et tu reçois ton chèque. 800€. Tu as une certaine responsabilité, tu t'occupes de personnes, tu évites les accidents, que les vieux s'étouffent, qu'ils chutent... 800€. On m'avait parlé d'un CDI, on m'avait dit : "Ça emploie, ça embauche", mais au bout de deux mois, c'était un autre son de cloche : "Les gens sont contents de vous, y a pas de problème, mais par contre les collègues vont revenir de maladie. On peut vous garder un peu quand même. Trois heures par semaine". Donc tu refuses, ça me ferait combien ? 130€ par mois. Et tu te retrouves sans RSA, il faut refaire ta demande, plus de Caf non plus, tu cumules les dettes. Sur mon bureau, il n'y a que des factures. Priorité, le loyer, les prélèvements de gaz, d'électricité. Pour la cantine ou les impôts, tant pis, je me dis : qu'est-ce que tu veux qu'ils me fassent ? 

– Et pour la bouffe, les habits, tu te débrouilles comment ?

– Les fringues, c'est très cher, heureusement y a la Croix-Rouge à côté. Mais ma gamine de seize ans, elle ne le voit pas comme ça. Elle a envie de bling-bling. Même si, avec l'histoire des Gilets jaunes, elle change, elle réfléchit.

– Elle a envie de mettre un gilet jaune, elle aussi ?

– Pas trop. Ou alors, il faudrait un logo Nike dessus, un gilet customisé, très cintré...

– Mais pourquoi tu as pleuré, lundi ?

– Je suis blessée par son arrogance. Au moins, les autres, ils avaient un peu un côté humain. Là j'ai l'impression d'avoir une espèce de robot, préprogrammé. Je ne comprends pas son but. Pourquoi on va toujours vers l'intérêt financier, vers l'argent ? ».

Voilà pourquoi des gilets jaunes.

Voilà ce qu'elle dit, Marie, de Montpellier, à Emmanuel Macron : « J'y arrive plus. Faites quelque chose pour que je puisse m'en sortir, vous qui avez le pouvoir, à ce qu'on dit ».

Et vous savez ce qu'il lui répond, Emmanuel Macron ? « Vous n'y arrivez plus ? Je vous invite à mon "Grand Débat National". Vous pourrez y exposer vos revendications et avoir au moins une attitude constructive, plutôt que de passer votre temps à vous plaindre. Soyez une "force de proposition" ».

Parce qu'elle a des revendications, Marie de Montpellier, en dehors de celle d'avoir le droit de vivre décemment de son travail ? Elle a envie d'être "constructive", dans la situation où elle est ? Elle s'occupe de "politique", Marie ? Elle a des idées, Marie, sur le fonctionnement de la démocratie directe ? Sur le "référendum d'initiative citoyenne" ? Des propositions à faire sur l'organisation de la société ? Et surtout, elle ne se plaint pas, Marie : elle constate que c'est dur et elle trouve Macron arrogant.

Mais de qui te moques-tu, Manu ? Tu vois pas qu'elle n'en peut plus, Marie, tout simplement ? Que le bout du rouleau n'est pas loin ? Mais à qui crois-tu t'adresser, quand tu parles ?

Je précise que j'ai évacué du propos initial toute la narration qui accompagne cette interview. Sousgilets jaunes,françois ruffin,journal fakir,emmanuel macron,france,société,politique,lycée la providence,ce pays que tu ne connais pas,la france insoumise,jean-luc mélenchon,élection présidentielle,la france d'en bas,la france d'en haut le titre "Monsieur le Président", ce témoignage, poignant mais finalement banal tant il peut être partagé par une foule de gens, figure dans le dernier numéro paru de la revue Fakir (n°88, janvier-avril 2019), dont le rédacteur en chef est François Ruffin, journaliste et député La France insoumise, auteur par ailleurs du film Merci patron ! Un personnage atypique et décalé si l'on veut, insupportable par certains côtés, mais pour l'instant fidèle à quelques idées basiques, c'est-à-dire fondamentales, sur la justice sociale.

gilets jaunes,françois ruffin,journal fakir,emmanuel macron,france,société,politique,lycée la providence,ce pays que tu ne connais pas,la france insoumise,jean-luc mélenchon,élection présidentielle,la france d'en bas,la france d'en hautLes mots de Marie introduisent la publication de "bonnes feuilles" du livre de Ruffin Ce Pays que tu ne connais pas (Les Arènes, 2019), dans lequel il s'adresse à Emmanuel Macron, son ancien condisciple au lycée jésuite "La Providence" d'Amiens, pour lui rappeler les raisons qui en font un homme complètement déconnecté des réalités de la "France d'en bas". Je lirai peut-être le bouquin, qui m'a l'air bien instructif : ce que j'en ai lu dans ce numéro de Fakir livre un aperçu sommaire du premier de la classe, le jeune séducteur, condescendant, péremptoire et parfois bluffeur, que la France a élu en 2017, mais sous un jour qui fait descendre la statue de son piédestal.

Quand on lit le témoignage de Marie, on comprend pourquoi les gilets jaunes ne tiennent pas à devenir un parti politique, pourquoi les vrais gilets jaunes d'origine n'ont pas l'intention de se présenter aux élections européennes, pourquoi ils ne forment pas un "mouvement" (malgré les tentatives de récupération les plus crapuleuses, dont Le Pen et compagnie), pourquoi, dans l'ensemble, on entend dans leurs rangs les revendications les plus hétéroclites et les plus fantaisistes qui sont venues se greffer sur celles qui les ont poussés sur les ronds-points.

Marie de Montpellier nous dit précisément la vérité de la France d'en bas, celle que l'arrogance de la France d'en haut ignore superbement, celle de masses de gens qui se débattent dans les tribulations bien réelles du quotidien et des fins de mois difficiles. Voilà ce qu'elle nous dit, Marie de Montpellier : la dictature actuelle de l'économie écrase et appauvrit le plus grand nombre. C'est pas compliqué.

La seule et unique revendication des gilets jaunes de la première heure ? Un appel aux "responsables", non pas pour qu'ils causent au sujet des "desiderata des gilets jaunes", mais pour qu'ils agissent sur la situation qui rend leur vie intenable. Non, c'est pas compliqué : « Donnez du vrai travail ! Donnez du vrai salaire ! Rendez la vraie vie possible ! Faites quelque chose pour améliorer la vraie situation ! ».

Dans la même situation que Marie de Montpellier, ils sont aujourd'hui neuf millions. Voilà la vérité que les casseurs s'efforcent de bousiller, semaine après semaine.

Neuf millions de gilets jaunes potentiels. Neuf millions de Marie de Montpellier !

Merci Fakir ! Merci François Ruffin ! Vive le gilet jaune ! Vive Marie de Montpellier ! Tiens bon, Marie !

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 09 mars 2019

JE HAIS LES SCIENCES HUMAINES

ÉPISODE 2

(voir épisode 1, le 27 février)

Je hais les sciences humaines, je l’ai dit, mais, comme j’espère qu’on l’a compris dans mon premier billet, c’est moins en elles-mêmes qu’à cause de l’usage effréné qui en est fait par la société en général et par les acteurs de la communication de masse en particulier, qui transforment ainsi le savoir universitaire en outil de propagande et de bourrage de crâne.

Il suffit de se retourner sur les bientôt quatre mois de « crise des gilets jaunes » pour voir à quels excès mène le recours massif des journalistes aux sociologues (est-ce la « France périphérique » ? la ruralité contre les métropoles ? les élites mondialisées contre les populations enracinées ?), aux historiens (est-ce une insurrection ? une jacquerie ? une révolution ?), aux philosophes et autres "science-humanistes".

Aujourd’hui, si plus personne n’a une compréhension claire et homogène de l’événement et de la situation, c’est tout bénéfice pour Emmanuel Macron, qui se frotte les mains (parfois pas trop discrètement, quand il traite les manifestants de « complices » des casseurs), grâce au Niagara de discours et d’interprétations qui a submergé les antennes et qui fait que toutes les interprétations, même les plus malveillantes, sont devenues possibles : si tout peut être dit, plus rien n'est vrai, et le poisson, méticuleusement "noyé", est mort. Ce rideau de fumée-là est diablement efficace. 

Soit dit en passant, quand même, on reste ahuri devant la violence, non seulement des casseurs, non seulement des policiers (vous avez dit LBD ?), mais aussi des juges qui ont vu passer les interpellés (la plupart "primo-délinquants" et "inconnus des services de police") en comparution immédiate et les ont durement assaisonnés, sans doute sur consigne du ministère (voir la circulaire publiée récemment).

Revenons à nos moutons. Je disais donc que je ne hais pas les sciences humaines en elles-mêmes. La preuve, c'est que j'ai lu, au cours de ma vie, un nombre appréciable d’ouvrages savants qui m’ont marqué, quelques-uns particulièrement, au point que je les considère, encore aujourd'hui, comme des points de repère sur une trajectoire. Les visiteurs de ce blog l'auront peut-être perçu au fil du temps. Pour les curieux, je cite quelques-unes de mes lectures un peu récentes le 4 juin 2016

Cela dit, il n’empêche que je vois dans l’extension et l'expansion du champ d’intervention des sciences humaines l’origine d’effets pervers non négligeables, qui tiennent à l’usage immodéré que la société en fait. Car au motif que « rien de ce qui est humain ne leur est étranger », elles ont introduit les ventouses de leurs tentacules jusque dans les plus infimes interstices de ce qui constitue la vie des gens ordinaires et l'ensemble des structures qui servent de cadre à leur vie sociale, pour nous expliquer leurs significations et nous dire d'un ton péremptoire pour quelles raisons valables il faut admettre ou dénoncer. 

Je ne crois pas dire de bêtise en affirmant qu’aucune société avant la nôtre ne s’est observée elle-même avec tant d’attention, et même de voyeurisme (et même de fatuité). L’inflation extraordinaire des connaissances autocentrées, souvent microscopiques, aboutit à un curieux résultat. On constate que plus la société se connaît, moins elle se comprend, et moins elle sait pour quoi et pourquoi elle existe. Plus les sciences humaines décrivent et expliquent les faits humains dans leurs moindres détails, plus le sens de tout ça devient inaccessible, nébuleux et confus.

Dans ce brouillard, rien de plus facile pour des « fake news » que de paraître vraisemblables, ouvrant un boulevard aux thèses complotistes. La société est comme un grand corps vivant, étendu sur un marbre d'autopsie, bardé de toutes sortes d'instruments intrusifs, sondes, électrodes, thermomètres, palpeurs, anémomètres, baromètres, stigmomètres, tensiomètres, autant d’instruments de mesures qui la dissèquent à tout instant « in vivo », à chaud, en « temps réel ».

Grâce aux innovations techniques, même les individus passent beaucoup de temps à s’observer, s’ausculter, mesurer leurs capacités, s’inquiéter du nombre de leurs pas quotidiens, de leurs pulsations cardiaques à l'effort, de leur VO²max et qui, à cette fin, connectent leur corps à des banques de données, via des appareils sophistiqués, pour savoir où se situer sur l’échelle des êtres vivants. Chacun est ici invité à s’évaluer en termes de performances, tout en s'exposant à des cupidités dont il n'a même pas idée (collecte et commercialisation des données personnelles).

La société n’a plus le temps de vivre : avec les sciences humaines, elle veut aussi se regarder vivre. Elle veut être à la fois le technicien preneur d'images et le comédien qui s'agite devant l'objectif. Elle s'interroge en permanence avec angoisse sur le bien-fondé des options qu'elle met en œuvre. Elle vit sous l’œil vigilant de caméras introspectives impitoyables, et ne cesse de faire des « selfies » (disons des autoportraits grandeur nature) : le moindre fait, le moindre agissement est immédiatement étiqueté dans une catégorie précise, et placé dans un compartiment prévu à cet effet, pour s’inscrire dans une « série » permettant à l’observateur patenté d’en fixer la signification et d’en suivre l’évolution. 

On tient d'incroyables comptabilités. On quantifie les suicides, la délinquance, etc. ; il y a des gens qui sont payés pour suivre dans les médias les chiffres des temps de parole respectifs des hommes et des femmes, des blancs, des noirs et des basanés, qui mesurent la "visibilité" des noirs ou des arabes (ça s'appelle la "diversité"), et pour alerter la société sur l'"injustice" que constitueraient d'éventuelles "sous-représentations" ; il y a aussi, dans la foulée, des gens qui voudraient donner à l'INSEE assez d'autorité pour sélectionner le personnel médiatique, au moyen de "quotas", pour qu'il "reflète" exactement la composition de la population française. Bientôt, si ce n'est pas déjà fait, ce seront les statisticiens qui exerceront le pouvoir, et la société sera gouvernée selon la règle des "échantillons représentatifs". Ce sera le règne des comptables.

Avec les sciences humaines, la société est devenue Narcisse. La culture du narcissisme (titre d’un ouvrage essentiel de l’Américain Christopher Lasch) ne s’est pas contentée de placer chaque individu devant un miroir, elle a gagné l’ensemble du corps social : comme Narcisse, la société se perd dans son propre reflet, qu’elle n’arrive évidemment jamais à saisir. Pour une raison évidente : le personnage d’Ovide, dans Les Métamorphoses, tend les mains vers cet « autre » qui n’en est pas un, et ce faisant, agite la surface de l’eau, si bien que ce n’est plus un reflet qu’il aperçoit, mais une infinité de fragments du reflet. Il ne sait plus auquel de ces fragments s'adresse son amour.

Le miroir a éclaté en mille morceaux, pulvérisant à la fois l'unité du visage de Narcisse et l’unité du corps social en autant de vérités parcellaires et mouvantes, dont aucune ne peut prétendre détenir une quelconque Vérité globale, incontestable et durable. La société s’est ici décomposée, comme l’a montré en son temps le débat sur l’identité française, chaque morceau du miroir tirant en quelque sorte la couverture à lui. A cet égard, on pourrait dire que les sciences humaines, ou du moins leur présence sociale médiatisée, participent au processus de morcellement de la nation : chacune y découpe un champ du savoir bien délimité qu’elle laboure consciencieusement, avec méthode, indépendamment de ses congénères. L'ensemble (je veux dire l'intérêt général) ? Tout le monde s'en fout. C'est le particulier qui a pris les commandes.

Le problème des sciences humaines, à ce stade, ce n'est pas chacune des disciplines prises isolément, bien sûr : c'est l'effet de masse et le rôle que cette masse joue dans l'évolution de la société, car il est indéniable qu'elles sont devenues un acteur à part entière de la fabrication de la société. Leur finalité de départ était "la connaissance de l'homme", détachée par principe de tout objectif concret. Elles voulaient être utiles, mais en tant que "recherche fondamentale", je veux dire désintéressée, gratuite, comme on oppose "recherche fondamentale" et "recherche appliquée". Pur savoir universitaire à la destination indéterminée, bien catalogué et rangé en ligne sur des rayons spécialisés, réservés à la catégorie des rats de bibliothèque passionnés. Cette belle idée (le définitif "gnôthi séauton" : connais-toi toi-même) a été pervertie.

En plus de leur finalité traditionnelle d'érudition, les sciences humaines sont devenues des instruments entre diverses sortes de mains. Les mains principales sont celles des militants associatifs et celles des responsables économiques et politiques, qui se sont tous rappelé, à un moment donné, le vieux dicton : « Savoir c'est pouvoir ». Des tas de gens se sont dit qu'ils avaient un moyen d'"améliorer la société", à condition que ce fût en leur faveur. Il y a plus de militantisme de combat que de curiosité "scientifique" dans l'usage que certains groupes font des sciences humaines.

Voilà, ce sera le thème de l'épisode 3, à paraître prochainement.

dimanche, 03 février 2019

D'UN CRÉTINISME FÉMINISTE

OH LA BELLE BOUSE !

Nous parlons donc de la "Nuit des idées", la grande brasserie où toutes les élucubrations sont admises, et même suscitées, à partir d'un certain degré d'imbibition. La plus manifestement imbibée des interventions dans le dossier paru dans Le Monde du 31 janvier est celle de Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, paraît-il. Madame est une féministe, et ce n'est rien de le dire : il faut lire cette prose pour comprendre à quel degré de décomposition sont arrivées certaines élites intellectuelles dans les pays riches. Décomposition découlant peut-être de la circulation consanguine des idées dans le cercle fermé des élites parisiennes, et l'on sait ce que le "Crétin des Alpes" doit à la consanguinité (voir Le Médecin de village, de Balzac).

Si elle se contentait d'être professeur (non, je ne mets pas de "e") de science politique, je me contenterais de m'assoupir et de somnoler au son de sa musique. Mais elle est également « chargée de mission égalité-diversité à l'université de Reims ». Alors là pardon, mais ça sent très fort, ce machin-là, et vous savez quoi ? Ça fleure bon l'air du temps, le poncif exigé de tout ce qui se prétend "moderne", bref : le nouveau stéréotype (inavoué comme tel, bien sûr) installé en lieu et place des vieux "stéréotypes", violemment dénoncés. La même odeur faisandée (et policière par ailleurs) que tout ce qui proclame avancer sur le chemin triomphal du Progrès indéfini.

Elle commence par un historique de la « condition féminine », où se succèdent les triomphes du féminisme, un historique qui prouve l'inéluctabilité de la marche des femmes vers la disparition de l'injustice que l'humanité masculine leur fait subir depuis 30.000 ans (au fait, c'est quand, "l'aube de l'humanité" ?), du fait de la "domination masculine" (le titre fameux de Bourdieu sonne comme une forfaiture). Dogme selon lequel l'homme, dès les temps préhistoriques, se serait approprié le corps des femmes, les maintenant dans une odieuse sujétion.  Et l'on entend le chapelet des refrains habituels : « immémoriale assignation domestique », « bastions masculins de l'économie et de la politique », « mécanismes par lesquels la domination masculine se perpétue ». Rien que du classique, en Bourdieu dans le texte. 

Elle formule alors une phrase qui constitue selon moi un point culminant de la sottise qui sort à jet continu d'un certain féminisme. Après avoir noté que « les facteurs d'oppression sont pour beaucoup multiples » [?], elle se lance : « Reste qu'il faut pouvoir le repérer [quoi ? ce n'est pas clair], la condition féminine au présent est inédite au point d'annoncer une mutation anthropologique : nous sommes entraînés dans un mouvement de désexualisation des rôles privés et des fonctions sociales qui fait signe vers l'avènement d'un individu générique affranchi des diktats de la nature comme des injonctions de la culture ».

Oh la belle déjection bovinoïde ! Oh l'incroyable théorie de la liberté humaine qui transparaît en filigrane ! Oh la belle conception de la nature ("diktats") et de la "culture" ("injonctions") ! Oh la belle vision de l'individu libéré de tout lien, flottant dans le liquide amniotique de son propre moi et de ses perspectives d'accomplissement personnel ! Je remarque juste que la "mutation anthropologique" a encore quelques siècles devant elle pour gagner la Terre entière. Et l'on peut remplacer sans problème "individu générique" par "individu interchangeable". Sûrement un indéniable "progrès", dans l'esprit de la dame.

Allez, encore quelques fleurs poussées sur ce "compost" (pour être gentil) : « la parentalité n'est plus l'exclusive des couples hétérosexuels » ; « tout individu, quels que soient son sexe, son genre ou sa sexualité, doit se voire reconnaître la légitimité de son désir d'enfant » ; « il s'agit de la [la sexualité] désinsérer de son cadre hétéronormé et d'en finir avec les normes viriles qui la caractérisent pour repenser la rencontre des corps au prisme de la liberté et de l'égalité ». Si j'ai bien compris, le fait pour l'individu de désirer avoir un enfant lui ouvre ipso facto un droit. Et par ailleurs, la dame semble être atteinte d'hétérophobie obsessionnelle. Mais qu'attend le législateur pour mettre fin à cette intolérance et rendre justice aux gens normaux ? Et j'ai la curieuse impression que la dame fait du rapport à la sexualité un critère central.

Maintenant le bouquet final : « Elle [la bataille de l'intime] montre en tout cas, et c'est sans doute le plus difficile à saisir, que la désexualisation n'est pas synonyme de désincarnation : elle ne fera pas de nous des anthropes asexués. La mutation à l'œuvre replace tout au contraire le corps au cœur de nos vies. Simplement, ce n'est plus au prisme binaire des sexes et des genres qu'il faut penser, mais dans les termes inédits de la singularité sexuée et de la fluidité genrée. Il nous reste donc à réfléchir aux conditions nouvelles dans lesquelles s'expriment, au présent, nos existences incarnées ».

Désexualisation, désincarnation, "fluidité genrée", mais où va-t-elle chercher tout ça ? Certains esprits mal tournés pourraient se demander s'il n'y a pas là une tendance à l'onanisme ou à la sodomisation des diptères. Voilà de la confiture de crâne ! Je souhaite bien du courage à celui qui se lancera dans une explication du texte. Et je note l'exaltation incantatoire qui anime son auteur, qui me fait penser – toute proportion gardée – aux envolées lyriques de tous les "philanthropes" qui ont projeté de fabriquer des "hommes nouveaux" et qui ont fait du 20ème siècle un bain de sang.

La remarque qui me vient, après ce festival conceptuel, est que la dame est résolument hermétique à ce qui se passe tout en bas de chez elle, très loin, dans les couches modestes de la société : il faut être singulièrement nanti pour se lancer dans ces acrobaties intellectuelles. Le plus étonnant est d'ailleurs qu'elle l'avoue : « Il va de soi que ces évolutions concernent avant tout les classes les plus favorisées ». "Il va de soi", bien entendu et de toute évidence. Je voudrais voir la dame développer ses théories au comptoir du Café de la Crèche, pour assister au spectacle. Je l'imagine enivrée de ses discours, et je comprends tout de suite qu'elle et ses semblables vivent bien à l'abri du vulgum pecus, dans leur bocal intellectuel. 

Et je me dis que si toutes les élites politiques, économiques et intellectuelles du pays sont dans cet état de décomposition, le phénomène des "gilets jaunes" devient immédiatement logique, évident, aveuglant : protégées par les remparts de la citadelle sociale où elles se reproduisent, ces élites échafaudent des représentations autonomes, libérées de la contrainte d'une quelconque réalité concrète. A ceci près que ces représentations finissent par façonner les nouvelles réalités qui s'imposeront « pour leur bien » aux masses ignorantes, de gré ou de force. Emmanuel Macron (le pouvoir), Carlos Ghosn (l'argent), Camille Froidevaux-Metterie (le savoir) : un trio qui illustre à merveille la méconnaissance, l'indifférence et le mépris d'une caste de nantis pour les gens ordinaires.

Pour Macron, Ghosn et Froidevaux-Metterie, ce sont les élites qui guident le peuple. Cette écœurante saloperie aujourd'hui saute aux yeux. Ce "Progrès"-là, franchement, non merci.

Voilà, c'est la "Nuit des idées" : des mots, des discours, du langage, des "énoncés performatifs" pour sauver le monde ? Même question à propos du "Grand Débat National". Croyez-vous sincèrement que ces parlotes vont changer quelque chose à la situation concrète qui a provoqué la crise des gilets jaunes ? 

Voilà ce que je dis, moi.

Note : la première fois que j'ai entendu l'extravagance selon laquelle la domination masculine remonte à la préhistoire, c'est dans la bouche de Michelle Perrot, bouche ô combien oraculaire de la cause des femmes. Il n'est venu à l'esprit de personne de répliquer que s'il en est ainsi, c'est qu'il y a peut-être une raison objective. Mais non : l'idéologie est la plus forte, on n'en démord pas, on tient à ses lunettes hallucinatoires et à sa grille de lecture définitive. Un fois pour toutes, l'homme est dominateur, un point c'est tout.

samedi, 02 février 2019

NUIT DES IDÉES ...

... A QUOI ÇA SERT ?

Il n'y a pas que le "Grand Débat National" dans la vie. En France, quand il n'y a plus de débat, il y a encore du débat. La "Nuit des idées", on ne le sait pas assez, est une invention française. C'est une marmite où l'on met à bouillir les plus belles cervelles du pays pour « débattre des grands défis de notre temps » (Le Monde). Sûr que ça va aider l'humanité à les relever, les grands défis ! J'entendais récemment un journaliste s'exclamer : « Mais où sont les intellectuels ? ». Il parlait de la "crise des gilets jaunes" (autre invention bien française). Je réponds : ils sont partout, les intellectuels. Impossible d'ouvrir un bulletin d'information sans tomber sur un "échantillon représentatif" de chapelles universitaires (sociologue, historien, philosophe, économiste, ...). Si ce ne sont pas des intellectuels, qu'est-ce qu'il lui faut, au journaliste ? Si l'on n'y prend pas garde, c'est la noyade ! Surtout qu'à partir d'un certain stade, c'est tout le monde qui devient intellectuel.

C'est sûr, il y a pléthore. Des intellos comme s'il en pleuvait. N'en jetez plus, la cour est pleine. C'en est au point que tous ces discours plus savants les uns que les autres, qui jettent sur le monde actuel les filets à mailles serrées de leurs concepts et de leurs grilles de lecture pour en rapporter des "significations", s'ajoutent, se juxtaposent, se contredisent ou s'annulent. Résultat des courses ? Un BROUILLARD épais, opaque où le pauvre monde n'a aucune chance de s'y retrouver, et où les "chercheurs" eux-mêmes errent sans boussole, ne sachant plus au bout de quel chemin se trouve Rome, à force de panneaux directionnels contradictoires. Le monde actuel, quand on écoute les discours des intellos, je vais vous dire : il est paumé de chez paumé.

Tenez, si on lit Le Monde daté 31 janvier, on trouve, pour amorcer la pompe de la "Nuit des idées", un quatuor d'interventions qui donne une petite idée du monstre qui sortira de la manifestation officielle. Faisons une exception pour Hannah Arendt, appelée à la rescousse alors qu'elle ne nous parle plus que par livres interposés (elle est morte en 1975), aussi pertinent que soit le rappel. Mais le reste est gratiné. On trouve un article de François Hartog, historien, doctement intitulé « Le présent n'est pas le même pour tous ». Tu l'as dit, bouffi ! Il dissèque en effet le mot "présent", il le découpe en ses plus petits éléments, et il conclut de tout ça qu'il y a un « présent présentiste ». Fallait y penser, non ?  Sûr que le concept va aider l'humanité à survivre. Bon, j'admets que j'exagère.

Je passe à Philippe Descola, anthropologue. Il dit, quant à lui, au moins une chose amusante (pas besoin de savoir à propos de quoi) : « C'est un problème de temporalité. C'est comme les trains qui circulent à des vitesses différentes. Comme on croise des trains qui roulent plus lentement, on a l'impression qu'ils sont à l'arrêt, mais c'est une illusion ». Ce qui est rigolo ici, c'est "on croise" : en réalité, dès que votre train est à vitesse de croisière, vous savez que quand il croise un autre train, celui-ci disparaît du paysage en un clin d’œil, avant même que vous ayez pris conscience du choc. Je n'en veux pour preuve (attention : a contrario) que ce qui arrive aux Dupondt à la fin de Tintin au pays de l'or noir (p.55), quand Tintin, lancé à toute vitesse au volant de la voiture de l'émir à la poursuite de Müller, laisse sur place la Jeep qui roule pépère, au point que le passager moustachu croit être à l'arrêt. Et voilà ce que ça donne.

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Il est évident que les deux véhicules ne se croisent pas, mais vont dans le même sens. Mettons cela sur le compte de l'étourderie : ça arrive à tout le monde. 

Cela dit, Descola montre que pour ce qui est du diagnostic et de l'analyse des causes, beaucoup d'intellectuels disposent d'outils impeccables, et que c'est la catégorie "solutions" qui fait le maillon le plus chétif de la chaîne du raisonnement. Car il pose par ailleurs un regard assez lucide sur le temps présent et la catastrophe qui nous guette : « Je ne sais pas si on pourra l'éviter », répond-il à Nicolas Truong. Bien dit. Qui peut supporter l'absence d'espoir ? Même si la formule de Descola ne ferme pas la porte, ça ne l'empêche pas de proposer plus loin une "solution", mais de l'ordre du miraculeux : « Ce phénomène de privatisation s'est mis en place avec le mouvement des enclosures à la fin du Moyen Age et n'a cessé de croître. Pour le stopper, il faut une révolution mentale ». Ah, "Il faut", la clé qui ouvre toutes les serrures, même celles qui n'existent pas, a donc encore frappé ! La solution au problème ? "Une révolution mentale" : voyons, monsieur Descola, est-ce bien sérieux ? On mesure ici l'infinitésimale probabilité que l'espoir de Descola soit exaucé. Y croit-il lui-même ?

Après une telle entrée en matière, la "Nuit des idées" est bien partie pour participer puissamment à l'inflation de blabla qui nous submerge, et que le "Grand Débat National" cher à Emmanuel Macron a déjà commencé à alimenter en abondance. Le brouillard n'est pas près de se dissiper. Je dirai même que plus on produit du débat (du discours) sur les choses, plus le brouillard s'épaissit. Ce n'est certainement pas débattre qu'il faut, si l'humanité veut sortir de la nasse où le capitalisme ultralibéral l'a ligotée, c'est agir : ce n'est pas le "débat démocratique" qui peut quoi que ce soit contre les forces actuellement agissantes. C'est une très hypothétique "force" capable de faire reculer ces dernières. La question est : « Qui, dans les sphères de décision, est en état d'agir ? ». Je pense avoir la réponse.

Promis, demain je vous donne à renifler de près l'odoriférante, la somptueuse, la plantureuse bouse qui clôt le dossier.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 30 janvier 2019

OÙ EST PASSÉ "L'ESPRIT PUBLIC" ?

"L'esprit public" était une belle émission de France Culture, du temps qu'elle était cornaquée par le talentueux Philippe Meyer. Bon, on pouvait trouver ceci ou cela à redire aux propos pleins de componction de François Bujon de Lestang, l'ancien ambassadeur, sorte de M. de Norpois d'aujourd'hui, ou à ceux, éminemment centristes, de Jean-Louis Bourlanges, politicien "modéré". C'étaient des gens de bonne compagnie, qu'on imagine bien à la table d'un bon restaurant, en train d'apprécier plats et vins en regardant le monde. J'ai regretté l'éjection de cette émission, dont je ne connais pas la raison. Pour tout dire, j'ai regretté qu'on cloue le bec à ce commentaire de l'actualité par – qu'on le veuille ou non – de fins observateurs qui savaient en définitive de quoi ils parlaient, quels que fussent leurs engagements par ailleurs.

L'émission qui a détrôné cette intelligence propose, je dois dire, quelque chose de beaucoup plus rudimentaire. Emilie Aubry, que Philippe Meyer a probablement autorisée à garder le titre, n'a certainement pas la même "envergure" intellectuelle : elle se dépatouille comme elle peut en face de gens invités sur des critères flous, et qui ne sont plus là "pour affinités personnelles" (c'était indéniable, et diablement intéressant chez Meyer), mais pour répondre aux questions de l'animatrice, qui s'efforce de construire à sa petite façon un "ordre du débat", en interrompant tel ou tel à l'occasion, ce que Meyer se faisait un honneur de s'interdire. Le paysage n'est pas le même. Je dis tout de suite que je n'ai rien contre Emilie Aubry : elle fait ce qu'elle peut, elle a des excuses, sans doute n'a-t-elle pas le même bagage. Je suppose qu'elle n'est que journaliste et, au surplus, qu'elle n'a pas lu Alexandre Vialatte. Constatons les dégâts de l'éviction sauvage de Philippe Meyer (après celle de Bourlanges) : "L'esprit public" a disparu corps et biens, seule l'étiquette est restée à la surface.

Dimanche 27 janvier 2019, l'animatrice réunissait Gérard Courtois, du Monde, Aurélie Filipetti, qui dirige aujourd'hui une ONG (Oxfam France), Philippe Manière, présenté sans plus de précision comme "essayiste", ce qui veut tout – donc rien – dire (économiste, si j'ai bien compris), et Christine Ockrent, journaliste (et compagne de Bernard Kouchner, ancien médecin, ancien politicien, ancien ministre soi-disant de gauche débauché par Sarkozy, et ancien porteur de sac de riz sur une plage de Somalie). Un panel très "télégénique", comme on voit. Un beau "plateau", quoique globalement de "seconde zone" en termes de notoriété. Je ne vais pas résumer ce qui s'est dit. Je veux juste apporter mon grain de sel, et dire comment je perçois les propos de ces gens qui s'autorisent à parler dans le poste pour commenter ce qui se passe en France et dans le monde.

J'ai apprécié, parmi les interventions de Philippe Manière, globalement libéral, celle qu'il a consacrée au pur scandale que constitue la désindustrialisation de la France depuis quarante et quelques années. A mes yeux, ce scandale s'appelle un crime : pour aller vite, les dirigeants d'entreprises, pour obéir à la logique de rentabilité imposée par les actionnaires et pour mettre à profit l'aubaine qu'a constituée la libre circulation des capitaux (Reagan-Thatcher), ont "délocalisé", c'est-à-dire ont vidé la France de son tissu industriel. Les responsables politiques, convaincus qu'il fallait faire de la France un pays sans usines (sur fond de doctrine de "division internationale du travail"), n'ont rien fait pour s'opposer à cette véritable saignée : la puissance industrielle du pays a été vendue à la Chine (pas que, mais passons). Philippe Manière a parfaitement raison de dénoncer ce qui restera comme une sorte de suicide économique.

La seule intervention que j'ai retenue du mesuré Gérard Courtois se situe au début, quand il signale la véritable fracture qui existe entre la "France d'en haut" et la "France d'en bas", et souligne le grand écart auquel se livre Emmanuel Macron, en réunissant d'une part le "gotha" des patrons à Versailles, pour d'autre part, aux antipodes, accomplir ses performances sportives devant des centaines de maires ruraux de Normandie puis du sud-ouest. Courtois voit là une contradiction, pour mon compte, j'y vois plutôt une stratégie de communication tous azimuts : celui qui se voit en locomotive affiche l'ambition d'accrocher tous les wagons, du "up" au "bottom". De toute façon, Macron n'a pas vraiment compris ce qui se passe tout en bas de chez lui : même quand il "va au contact", quand il regarde le peuple, c'est au télescope.

Ce qui est intéressant à noter, c'est la réaction de Christine Ockrent (qu'est-ce qu'elle fait là ? j'ai du mal à la voir à la table de Philippe Meyer) au "grand écart" perçu par Courtois : d'abord, elle ne supporte pas les "lamentations" montées du peuple en direction des responsables. Je ne sais plus lequel des invités a lancé la formule, effectivement paradoxale, "foutez-nous la paix et prenez-nous en charge" (affirmation de liberté et demande de maternage). Mais le plus beau vient ensuite, quand elle nie le "grand écart" et qu'elle fait l'éloge des "entrepreneurs", au motif que ceux qui créent des emplois ce sont les patrons des grandes entreprises, souvent des multinationales, et que « c'est cette économie-là qui crée des emplois » (texto). Effarant. Mais sur quelle planète tu vis, Christine ? Tu n'as pas remarqué, au contraire, que c'est précisément cette économie qui ne crée pas de travail, mais des profits indécents (pas l'emploi, mais le CAC 40) et qui ne fait rien pour réduire le chômage de masse ? Et tu as le culot de commenter les gilets jaunes ? Décidément, le dessus du panier journalistique, c'est bien le dessus du panier tout court, qui promène son arrogance et sa suffisance sous les projecteurs, mais surtout hors de portée du "populo".

Et quand Aurélie Filippetti, très justement, place la racine du mal dans l'économie "ultralibérale", Ockrent tente de l'interrompre (je cite mot pour mot) : « Ah dès qu'on brandit cet adjectif on a tout réglé ! ». Je comprends tout de suite à quel genre de râtelier vous trouvez votre pitance, madame : nous n'avons pas les même gamelles, si je peux parodier une publicité célèbre. Christine Ockrent est clairement une journaliste "de classe". Tous ses propos transpirent le mépris pour le peuple et son souci exclusif de vivre parmi les "gens importants" que sa "qualité" mérite, diantre, fi donc, palsambleu, manants passez au large ! Heureusement, elle n'arrivera pas à empêcher Filippetti de développer son point de vue, beaucoup plus lucide et conforme à la réalité économique et sociale du monde actuel.

Je dois reconnaître cependant qu'elle (je parle de C.O.) n'a pas tort en soulignant, dans la population, « la surévaluation de ce que peut faire le politique » (elle a sans doute constaté et mesuré l'"efficacité" de Kouchner quand il était ministre, en pensant à l'incroyable complexité actuelle du processus qui mène à la décision et, pire encore, à son exécution effective). Mais j'ajouterai, madame Ockrent, que c'est précisément ce qu'on leur reproche, aux politiques, et que le délire général qui a saisi le monde tient précisément au fait qu'ils ont capitulé devant la logique économique, en la laissant s'engouffrer dans le "gouvernement des hommes".

Le politique est relégué au rang de serviteur docile du véritable pouvoir qui l'a supplanté, ce qui fait de l'action politique un sous-produit de la logique comptable et gestionnaire (la "gouvernance par les nombres", chère à Alain Supiot, celle qui fait des populations de vagues abstractions statistiques). Les politiques brassent beaucoup d'air et de mots sur le devant de la scène, pendant que, bien à l'abri de ces rideaux de fumée, d'autres acteurs, jour après jour, fabriquent méthodiquement la réalité réelle.

Emilie Aubry a certainement de la "bonne volonté", mais "L'Esprit public" d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec "L'esprit public" d'hier. N'est pas Philippe Meyer qui veut.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 09 janvier 2019

POST-SCRIPTUM : XYLOPHAGIQUE

XYLOPHAGIQUE.JPG

Même la racine de buis, ce bois à la si solide réputation de dureté, 

finit, à la longue, par susciter l'appétit du ciron persévérant.

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Actualité.

Cette photo m'inspire une comparaison avec le "Grand Débat National" :

pour moi, Emmanuel Macron est un petit brocanteur qui veut vendre aux Français un bon gros buffet Henri II, vous savez, ces énormes châteaux de bois menaçants, tape-à-l’œil et pas beaux.

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Quand on le regarde de loin, ça paraît être un très beau meuble, fabriqué dans un très beau bois par un ébéniste renommé. Bon, c'est vrai, c'est un meuble lourd, voire envahissant, à cause du style, surchargé de vermiculures, moulures, cannelures, nervures et autres sculptures.

Mais quand on s'approche tout près pour examiner dans quel état il est, on voit sur le sol tout plein de petits tas de poussière brunâtre qui signalent que tout plein de petites bêtes sont en train de le bouffer à l'intérieur. En collant l'oreille contre le bois, on entend l'armée des cirons qui grignotent le chêne vénérable.

Et la vérité vous saute à la figure : le "Grand Débat National" est un gros buffet Henri II complètement vermoulu. Et le chaland, qui n'aime ni les boniments ni les bonimenteurs, se détourne, avec une moue de dégoût.

D'ailleurs, la présidente de la "Commission Nationale du Débat Public", Chantal Jouanno, ne s'y est pas trompée : critiquée pour le niveau invraisemblable de sa rémunération, elle fait comme les rats : elle garde son salaire, mais elle quitte le navire qui prend déjà l'eau.

Pour ce "Grand Débat National", ce ne sont pas les métaphores qui manquent. On a l'embarras du choix : buffet Henri II, rat et navire, éléphant ou merle blanc, usine à gaz, montagne et souris, comité Théodule, noyer le poisson, etc. Il n'y a pas que la métaphore, il y a aussi la citation. Par exemple : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission » (Clémenceau).

De plus, le gouvernement devrait se rendre compte, face au morcellement terrible de la population en « communautés » irréconciliables (je n'énumère pas), qu'il prend le risque de passer bientôt pour un excellent "cultivateur de divisions", vu la profondeur des socs de toutes les charrues qui se préparent déjà à creuser leurs sillons respectifs, comme d'énormes mâchoires plantant leurs crocs dans les mollets de ceux qui ne pensent pas comme eux.

samedi, 05 janvier 2019

GILET JAUNE : QU'EST-CE QUE C'EST ?

ACTUALITÉ

Non, les gilets jaunes ne sont pas un "mouvement", comme se complaisent à le répéter les commentateurs routiniers. Si c'était un mouvement, il y aurait une espèce d'organisation, un semblant d'organigramme, une forme de hiérarchie. Les journalistes, les commentateurs, le gouvernement attendent de pouvoir discuter avec des délégués du "mouvement", des représentants représentatifs, de pouvoir les interviewer pour qu'ils expliquent leurs "revendications". Les commentateurs, avec les "gilets jaunes", sont devant un fait brut qu'aucune de leurs savantes grilles de lecture ne leur permet de comprendre.

Non, il n'y a pas de revendications, il n'y a pas de représentants, il n'y a pas de porte-parole. Tout simplement parce que, quand il y a un déluge de parole, il n'y a pas de parole. Il ne peut y avoir de "délégués", de "représentants", de "porte-parole" que des "auto-proclamés". On le constate quand on écoute ce qui se dit ici et là. Ici, on veut un "RIC" (référendum d'initiative citoyenne"), là, on veut le renversement du gouvernement, ailleurs, on peste contre les migrants, etc. Tout ça n'a aucun sens.

Tenez, j'étais ce matin rue de la "Ré" (c'est à Lyon), et j'ai vu passer la "manif" : une voiture "Police" devant, deux fourgons "Police" derrière, entre les deux une cinquantaine de "manifestants" précédés par le porteur d'un drapeau français de toute petite taille, lui-même précédé d'une dame un peu exaltée portant une petit drapeau breton. Le gars qui tenait le mégaphone s'égosillait. En particulier, je l'ai entendu vociférer : « Monsieur Macron est un dictateur » (texto). Ma foi, quand on en est là, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle, en espérant que celui qui tient le pinceau aura la force de s'y accrocher. [Ajouté dimanche soir : bon, il semblerait que la vraie manif "gilet jaune" a eu lieu l'après-midi, 1300 personnes : dont acte.]

Aborder le phénomène "gilet jaune" sous l'angle classique (j'allais dire "routinier") du "mouvement social" est le signe, selon moi, que l'on refuse de comprendre ce qui se passe. J'entendais hier soir Brice Couturier (vous savez, ce type de France Culture qui dégaine tous les jours ses "penseurs" et ses "think tanks" dans son "Tour du monde des idées"), asséner comme une vérité péremptoire sa thèse risible du "complot rouge-brun". C'est farcesque.

Que des fachos s'efforcent de récupérer à leur profit la négativité exprimée par les gilets jaunes, rien de plus évident. De l'autre côté, Mélanchon, "fasciné" par un pseudo-meneur jouant les martyrs, déploie la même énergie. Pour un complot rouge-brun, je le trouve un peu mou du croupion. Mais j'attends quand même de voir le score que fera le "rassemblement" national aux élections européennes.

Je vais vous dire comment je vois la chose : pour moi, le phénomène "gilet jaune" est le fait d'une "collection d'individus" (vous savez, l'expression de Thatcher, qui disait ainsi ignorer ce qu'est une "société"). Cette expression n'a pour moi rien de désobligeant : elle s'efforce de traduire une réalité sociale, où l'individu se rassemble avec d'autres individus qu'il ne connaît pas, et pour des raisons extrêmement variées. Le gilet jaune cristallise un sentiment intime à chacun, où il serait infiniment vain de chercher un "principe unificateur".

Une collection d'individus, ça dit bien ce que ça veut dire : ça n'a pas de forme, ça n'a qu'un contenu évanescent, virtuel, sans consistance. Une collection d'individus qui, faute de pouvoir analyser clairement et exactement leur propre situation, attribuent à leurs difficultés les origines les plus diverses, les plus fantaisistes, voire les plus injustes et les plus niaises. Il s'agit, je crois, d'une collection d'individus qui forment la base modeste de la société, individus dont le seul message unanime est :

« JE N'EN PEUX PLUS ».

Le gilet jaune est à l'origine la réaction de gens tout à fait ordinaires à une situation de plus en plus intenable, à l'évolution de plus en plus invivable d'un système dont ils subissent les conséquences. Quand on a de plus en plus de mal à finir le mois, on est face à une nécessité. C'est-à-dire qu'on est face à un mur : le mur des conditions matérielles d'existence, qui deviennent de plus en plus difficiles, sous l'impact d'un système aux fragrances totalitaires, qui voit dans la destruction du bien public (du bien commun, de tout ce qui fait précisément "société"), la seule solution pour "fluidifier" les échanges économiques. 

S'il y a autant d'abstentionnistes aux élections aujourd'hui, c'est que la base modeste de la société souffre de plus en plus des effets de l'ultralibéralisme. Si le gilet jaune est le signe de quelque chose, c'est le signe que la base modeste de la société souffre de plus en plus des effets de l'ultralibéralisme. Le pouvoir en place est pris au dépourvu. Il demande au gilet jaune : « Que voulez-vous ? », et le gilet jaune répond – quoique de façon parfois bien confuse : « Que vous cessiez de me rendre la vie difficile et compliquée ».

Le gestionnaire-comptable de l'Etat ne comprend pas cette réponse. Et pourtant c'est à cause de lui qu'on a évacué du paysage tout ce qui ressemble à un "service public" (hôpitaux, maternités, bureaux de poste, tribunaux, ....). Et c'est ainsi qu'on affaiblit l'Etat, que l'on promeut les ruineux PPP (partenariats public-privé), et que Lyon délègue à Vivendi la gestion de l'eau et à Suez le ramassage des ordures (délégations de services publics). 

Voilà ce que dit le gilet jaune : je n'en peux plus du système qui me rend la vie de plus en plus compliquée, de plus en plus étroite et serrée. Je n'en peux plus de l'élimination du paysage de tout ce qui éloigne et épuise le collectif, pour transférer le tout entre les griffes des rapaces. Je n'en peux plus de la montée des injustices.

On n'en peut plus de la Grande Privatisation de Tout. On n'en peut plus de la grande marchandisation de tout. On n'en peut plus de la grande rentabilisation de tout. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 01 janvier 2019

8/14 : BOTANIQUE

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Avant la cuisson.

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Ah oui, au fait, j'allais oublier : 

BONNE ANNÉE ÉCOLOGIQUE !

Enfin, c'est du moins ce qu'a dit Emmanuel Macron hier soir dans le poste, où il s'est montré capable de proférer une belle énormité conceptuelle, en parlant de "l'écologie industrielle" : Macron est un virtuose de l'acrobatie intellectuelle. L'usine à concepts de l'Elysée fonctionne à plein régime. Les Français, en 2017, ont porté l'imagination lexicale au pouvoir.

C'est la réalité qui manque d'imagination.

 

jeudi, 20 décembre 2018

PRISE DE CONSCIENCE ?

EN FAIT, L'ÉCOLOGIE EST UNE POTICHE.

Vraiment ? Vous y croyez, vous, à ce qu'on raconte ? Selon Le Monde (daté 18 décembre, suite à la "COP 24" de Katovice), il faudrait croire que les populations sont convaincues qu'il est indispensable de procéder à la désormais fameuse "transition écologique" et que, si ça coince, c'est la faute aux "politiques", aux gouvernements, aux Etats : « Le philosophe Dominique Bourg souligne la distorsion entre la prise de conscience des populations et l'inertie politique » (ce n'est pas Le Monde qui parle, c'est juste annoncé en une, mais c'est renforcé par l'éditorial, qui dénonce la pusillanimité des Etats). Ma foi, je suis comme les Normands de Goscinny et Uderzo.

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Pour ce qui est des gouvernants, je crois que c'est incontestable : sans même parler de la Pologne, de la Chine ou de l'Inde encharbonnées, de Donald Trump ou de Bolsonaro, pour dire en quelle considération notre président tient la cause de l'écologie, il a suffi d'un problème de politique intérieure (non négligeable, c'est certain) pour qu'Emmanuel Macron, sacré champion de la cause écologique (mais c'était avant la démission de monsieur Hulot), envoie à Katovice un sous-fifre avec mission de représenter la France, et encore, pas pendant toute la durée de la conférence. Avec la "déception" générale à l'arrivée (n'en déplaise à madame Sylvie Goulard).

Mais je me dis que si les gouvernants se permettent cette grande désinvolture à l'égard du climat, c'est certes parce que leurs pays sont engagés dans la grande compétition économique mondiale (les producteurs de pétrole ne tiennent pas à voir se tarir la manne procurée par l'or noir), mais c'est sans doute aussi parce que, politiquement, ils auraient du mal à "vendre" l'argument écologique à leurs populations, plus soucieuses – et on les comprend ! – de préserver ou d'améliorer leurs conditions matérielles d'existence que de sauvegarder la nature.

Prenons les gilets jaunes : qu'est-ce qui a mis le feu à la sainte-barbe du navire France ?

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C'est la taxe dite "écologique" sur les carburants. C'est vrai qu'il faut faire payer les émissions de CO2 par ceux qui les fabriquent, mais il fallait être totalement ignorant, inconscient et irresponsable pour déguiser en argument écologique une vulgaire taxe envoyée dans les gencives de populations déjà mises en difficulté par ce que les nécessités quotidiennes et les dépenses contraintes leur coûtent chaque mois. Macron aurait voulu griller la cause écologique dans l'esprit des populations qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Pas la peine de rappeler le sort finalement fait à l' "écotaxe" de notre Ségolène nationale. Politiquement, l'écologie est bien une "potiche" avec une plante verte pour faire joli dans le décor, mais tellement recollée, raccommodée et rafistolée que plus personne n'est prêt à parier un kopeck sur son avenir. De profundis, l'écologie "politique". L'écologie n'a aucune chance si elle se fait parti politique, elle en garde quelques-unes si elle se fait SOCIÉTÉ.

Car la vérité de l'urgence écologique est là. Jean Jouzel, ancien président du GIEC, cet organe qui rassemble les résultats des recherches de je ne sais plus combien de climatologues, laissait percer son inquiétude, à la clôture de la "COP 24". Il faut impérativement, selon lui, faire en sorte que le climat ne se réchauffe pas de plus d'1,5° dans les années à venir, sous peine d'irréversibilité catastrophique du processus. Pour cela, il faut réduire la production de gaz à effet de serre. Pour cela, la plupart des gens pensent qu'il faudrait se tourner vers les énergies renouvelables. 

Voilà qui est bien parlé, disent certains, mais d'abord, avez-vous pensé à l'empreinte carbone laissée par la fabrication d'un panneau photovoltaïque ? Par l'usinage des énormes pièces métalliques des éoliennes ? Ensuite, est-ce qu'il n'y a pas mieux à faire qu'à s'obstiner à produire (et consommer) toujours plus d'énergie ? Les responsables continuent à seriner que, pour faire disparaître le chômage, il faut toujours plus de croissance : lâcher tous les freins au "dynamisme de l'économie". 

C'est précisément là que rien ne va plus. Les optimistes ont beau faire des sourires à la "croissance verte", cette idée a priori pas si folle apparaîtra tôt ou tard pour ce qu'elle est : une fumisterie. Car la croissance, ça signifie toujours plus d'énergie pour produire toujours davantage de biens. Or, qui dit "énergie" et "production" dit prédation des ressources en énergies et en matières premières : le serpent se mord la queue. Le mécanisme reste à l'œuvre.

Il ne faut pas se faire d'illusion : l'humanité actuelle est revenue à l'époque préhistorique lointaine où chaque clan de néandertaliens ou de sapiens survivait de pêche, de chasse et de cueillette. Voilà ce qu'on appelle "économie de prédation". Aujourd'hui, notre système  (économie de production-consommation) a rejoint la préhistorique économie de prédation , en mille fois pire. Car ce qui était viable quand un tout petit nombre d'humains prenait à la nature – et tout à la main, s'il vous plaît, ce qui limite les prouesses de tous les Stakhanov, qu'ils soient de simples hommes ou des machines géantes – ce qu'il lui fallait pour assurer sa pérennité (et pas plus, faute de savoir le conserver et le stocker) est devenu un fléau, quand sept (bientôt neuf) milliards d'humains pratiquent la prédation à grande échelle et à grands coups de mécanocratie aveugle, en dépassant outrageusement les limites du nécessaire, un fléau qui est une vraie menace pour la survie de l'espèce.

On lit ici ou là, on entend aussi de plus en plus souvent des slogans du genre : "Faites quelque chose pour la planète !". Mais elle s'en tamponne, la planète : ce n'est pas elle qui est menacée, c'est l'ensemble des mammifères bipèdes qui s'agitent dessus. "Gaia" (Isabelle Stengers et quelques autres) est totalement indifférente à ce qui peut leur arriver. Elle en a vu bien d'autres, et, quand l'humanité aura disparu de sa surface, elle continuera son existence, ni plus ni moins que comme avant, jusqu'à son absorption dans la "géante rouge" que sera devenu le soleil, dans quelques milliards d'années. S'il y a une solution à trouver, ce n'est pas pour elle : c'est pour nous. Ce qui nous paraît nécessaire et suffisant, à nous autres pays riches, est décidément trop : nous sommes non seulement en train de vider notre garde-manger, mais aussi de le détruire, le garde-manger.

Et la solution, elle n'est certainement pas dans l'innovation : elle est dans le renoncement. Ce que tout le monde appelle "transition écologique" (je mets les guillemets), ça va dans le sens de l'innovation. Ce qui veut dire que ceux qui soutiennent cette perspective ne contestent rien du modèle économique en vigueur, qui est précisément cet insatiable prédateur et accapareur qui est la cause de tout le mal, sous l'apparence séduisante et menteuse du confort, de l'abondance et de la facilité. Et ça veut dire qu'ils n'ont rien compris au phénomène actuel. Pour eux, c'est un modèle incontestable et toujours valide. Cela veut dire qu'ils en sont restés au bon vieux schéma qui consiste à "aller de l'avant" (c'est l'industrie triomphante, c'est Renault-Billancourt, ou c'est le poilu en pantalon rouge qui part à l'assaut sous les balles).

« Ciel ! ce sont les machines,

Les machines divines,

Qui nous crient "en avant"

En langue de savant. »

Guy Béart, Le Grand chambardement (1968).

Alors le renoncement, maintenant. Pour donner une chance à l'humanité de survivre encore quelques centaines d'années (?), elle est là, la solution : renoncer aux facilités. Je veux de la lumière : j'appuie sur un bouton, et la lumière est. Je veux laver ma chemise : j'appuie sur un bouton, et ma chemise est propre. Je veux laver mon assiette : j'appuie sur un bouton, et mon assiette m'est rendue nickel. J'ai un peu froid chez moi : j'appuie sur un bouton, et l'atmosphère se fait agréable et tempérée. J'ai un peu trop chaud en été : j'appuie sur un bouton, et une fraîcheur de bon aloi s'installe. Je dois impérativement aller de Lyon à Molinet ou Strasbourg en voiture : j'actionne le démarreur (une variante du bouton), et j'arrive bientôt à destination. 

Voilà exactement la raison pour laquelle nous autres humains (« Frères humains qui après nous vivez, N'ayez le cœur contre nous endurci »), nous épuisons les ressources qui nous permettent aujourd'hui de vivre agréablement, mais plus pour longtemps. Voilà en réalité à quoi il faut convaincre les populations qu'elles devront renoncer si elles tiennent vraiment à ce que la vie humaine reste envisageable sur terre et à ce que leurs lointains descendants puissent continuer à ne pas avoir très envie de mourir, vu les conditions de vie. Il faut leur dire qu'elles n'ont pas fini d'en baver ! On comprend devant quel mur politique sont placés les responsables : convaincre je ne sais combien de milliards de citoyens de renoncer aux avantages matériels dont ils bénéficient déjà (pays "avancés"), ou dont ils rêvent et se sont fait un programme d'existence (les autres pays, encore plus de milliards de personnes).

Mais qui est prêt à renoncer aux commodités que l'épanouissement économique (et géopolitique) de l'Occident lui a finalement procurées, le plus souvent après d'âpres luttes sociales ? Moi-même, je n'ai guère de sympathie pour cette perspective, bien que (parce que) je sois loin d'être le plus gros prédateur. On fait briller de mille feux l'euphémisme de la "transition écologique" pour ne pas effaroucher les populations.

Comment celles-ci prendront-elles des discours de vérité quand on leur annoncera qu'il faut se serrer la ceinture ? Quand on leur expliquera qu'en réalité, la seule vraie "transition écologique" consiste en un appauvrissement généralisé ? Quand on leur dira que, pour que les générations à venir aient une chance de survivre, il va falloir qu'elles vivent avec moins de confort ? On vient d'en avoir un petit échantillon sur les ronds-points du territoire français à cause d'une petite taxe sur les carburants. Parce qu'on ne sortira pas de cette autre vérité : chaque mois, il faut arriver à la fin du mois.

Alors on pourrait se tourner vers les plus authentiques, les plus gros, les plus gras prédateurs, non ? Bêtement, on a envie de se dire qu'elle est là, la solution. J'imagine le scénario. Là non plus, ce ne sera pas facile, et d'autant plus difficile, compliqué, voire insurmontable que là, il s'agit de s'attaquer au siège du vrai pouvoir. S'attaquer aux populations, ça pose déjà problème. Alors s'attaquer aux puissants, on comprend très vite quelle sera l'issue de la bataille.

A part ça, tout va bien : la COP 24 se termine en pet de lapin ; la production de gaz à effet de serre a battu son propre record l'an dernier ; et sur 577 députés, 491 étaient absents le 30 mai 2018, jour où a été rejetée l'interdiction du glyphosate (il n'y a pas que le climat, il y a aussi la chimie) par l'Assemblée Nationale. Et l'on n'a jamais autant parlé d'environnement, d'écologie, de "gestes pour la planète". 

Si j'étais linguiste, je m'inspirerais du célèbre titre de John Langshaw Austin, Quand Dire c'est faire. Il mettait en évidence les caractéristiques des "énoncés performatifs", ces mots qui déclenchent une action. J'appellerais l'antithèse radicale entre discours écologique et réalité de la lutte pour l'environnement un énoncé contre-performatif : l'environnement, c'est comme l'amour, plus on en parle, moins on le fait. Allez, ne parlons plus de l'environnement, du changement climatique, de l'urgence écologique : laissons advenir ce qui doit advenir.

Non, ce n'est pas une bonne nouvelle.

Voilà ce que je dis, moi. 

lundi, 17 décembre 2018

GILET JAUNE ET POLITIQUE

Les intellos de tout poils, sociologues, historiens, philosophes, politologues et tutti quanti, continuent à "décrypter" le mouvement des gilets. Mine de rien, ça les fait jubiler, car voilà-t-il pas que ça leur donne une visibilité inhabituelle. Ils ont enfin l'impression d'exister. Je veux dire : d'exister parce que les médias éprouvent un urgent besoin d'enregistrer leur parole. Ils sont tout fiérots d'être ainsi courtisés et d'avoir ainsi l'occasion d'expérimenter leur "charisme" et de mesurer "in vivo" leur influence.

Le point commun de ces gens est que le système auquel ils appartiennent est d'accord pour admettre qu'ils produisent du "SAVOIR". De quelque côté qu'on se tourne, il y a de la connaissance comme s'il en pleuvait. Et en même temps, j'ai la très nette impression qu'il n'y a jamais eu autant d'ignorance de la société sur son propre fonctionnement.

J'entends M. Machin pérorer sur la notion de "représentation". J'entends M. Truc s'étendre longuement sur le concept d'"organisation". J'entends M. Bidule exposer ses doutes sur la crédibilité d'un mouvement qui n'a toujours pas élu ou désigné de "comité de grève", qui n'a encore rédigé aucun tract synthétisant les revendications, et qui dénie aux personnalités "émergentes" le droit de les représenter. J'entends M. Tartempion plaquer sur le dit mouvement le modèle qu'il a laborieusement élaboré en étudiant l'histoire des mouvements sociaux, des insurrections populaires et des révolutions depuis l'âge de pierre. 

Pour moi, tous ces gens très savants adorent sodomiser les diptères et capillotracter la réalité pour mieux la couper en une infinité de tout petits tronçons d'images de la réalité qu'ils s'efforcent ensuite de recoller en se débrouillant pour que ces images finissent par former un tableau et par ressembler à l'idée (cohérente, forcément) qu'ils s'en sont faite. Les politiciens se joignent à eux pour faire entrer cette réalité dans le moule que les grandes écoles ont collé dans leurs grosses têtes, et pour faire dire enfin au mouvement des choses qu'ils connaissent et sur lesquelles ils aient enfin l'impression d'avoir prise. Rien ne déplaît davantage à un politicien que de ne pas pouvoir se choisir un "interlocuteur crédible" digne de lui (c'est-à-dire à qui il ne puisse pas bourrer le mou).

Je ne suis pas si savant et je ne vais pas si loin. Je crois que le mouvement des gilets jaunes reste, pour tous les observateurs et commentateurs, une surprise et, en tant que tel, qu'il leur paraît inadmissible, incompréhensible. Qu'est-ce qu'il y a de si incompréhensible dans l'espèce d'émeute à laquelle on assiste depuis un mois ? 

Je n'affirme rien, pensez donc, je pose seulement une question. Et si le mouvement des gilets jaunes n'avait strictement aucun rapport avec une ACTION, quelle qu'elle soit ? Et si le mouvement des gilets jaunes (si c'est un mouvement) avait des chances de n'être qu'une RÉACTION à une AGRESSION ? 

Je me demande en effet si les gilets jaunes ont une sorte d'ébauche d'intention ou de volonté de se muer en mouvement politique. Les revendications sont si diverses, hétéroclites, hétérogènes et disparates, qu'y voir une forme d'expression politique relève à mon avis de l'exploit intellectuel, c'est-à-dire de l'acrobatie de cirque.

Et je me demande donc si ces manifestations n'expriment pas, tout simplement, la colère provoquée seulement par la situation économique et sociale qui est faite à la population des gens ordinaires par un système ultralibéral totalement sourd, aveugle et indifférent aux souffrances qu'il engendre. Est-ce que ce n'est pas le sursaut des fins de mois difficiles, trop difficiles et de plus en plus difficiles ? 

Le système, qu'est-ce que c'est ? C'est la privatisation de tout, c'est l'Etat qui sous-traite ("externalise") de plus en plus de ses missions, c'est le rétrécissement et l'affaiblissement des services publics, c'est un modèle de société de moins en moins redistributif, c'est le creusement d'inégalités de plus en plus profondes entre une petite frange de gens ultra-riches et le marécage où pataugent plus ou moins la majorité des citoyens, et j'arrête ici ma liste, parce que.

La majorité silencieuse n'a pas l'habitude de s'exprimer en public, n'a pas l'habitude de manifester dans les rues ou aux ronds-points et péages et a peut-être aussi perdu l'habitude d'aller mettre son bulletin dans l'urne aux échéances. Les gilets jaunes, si mes interrogations ne sont pas trop aberrantes, disent simplement à Emmanuel Macron : « On n'en peut plus, monsieur le président ». C'est l'ensemble du système économique qui s'est mis en place depuis quarante ans – auquel Macron veut adapter la France à marche forcée – qui produit la situation qui produit les gilets jaunes. Et c'est le même système, qui se moque éperdument des injustices de plus en plus graves qu'il autorise, qui produit les Orban, Trump, Bolsonaro et leurs semblables.

Non, la plupart des gilets jaunes ne font pas de politique. Ils constatent seulement qu'ils vont vers le pire, du fait d'un système économique qui leur laisse de moins en moins de place. Et ils le disent très fort. Trop c'est trop, monsieur Macron ! Serez-vous, monsieur Macron, le premier électeur d'une Le Pen en France ? Voulez-vous à ce point le malheur du pays ?

Voilà ce que je dis, moi.

Note ajoutée le 18/12 : voilà, la Commission du "débat public" est maintenant impliquée dans l'organisation d'une Grande Concertation Nationale qui doit durer trois mois. C'est parti pour une grande partie de pêche. Le but de la manœuvre ? Noyer le poisson.

Toujours le 18/12 : suite au commentaire positif de "RN" sur ce billet, j'ajoute la précision suivante : c'est M. Gilles Legendre, Président du groupe LREM (Sénat ou Assemblée, peu importe), qui a déclaré exactement sur la chaîne "Public-Sénat" : « Je pense que nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons, et puis il y a une deuxième erreur qui a été faite, mais dont nous portons tous la responsabilité, moi y compris, je ne me pose pas en censeur, c'est le fait d'avoir été trop intelligents, trop subtils, trop techniques dans les mesures de pouvoir d'achat. » Merci, M. Legendre, pour cette expression parfaite et immaculée de la cause principale de la haine qui vient de se faire entendre sur les ronds-points pour les gens de votre espèce qui tous, je n'en doute pas, pensent strictement la même chose que révèle votre aveu : l'arrogance de ceux qui savent, de ceux qui ont, de ceux qui peuvent. Vous êtes une illustration archétypale de ce que je ne sais plus qui nommait : LA BÊTISE DE L'INTELLIGENCE.

samedi, 15 décembre 2018

CE QUE ME DIT LE GILET JAUNE

Je prie le lecteur éventuel de m'excuser : je republie ce billet quelques jours après. Je sais : ça ne se fait pas. Mais il se trouve qu'entre-temps j'ai procédé à des ajouts conséquents. Je me suis demandé s'il ne faudrait pas le répartir sur deux jours, parce que ça commence à faire un peu long (2508 mots), mais bon, c'est au lecteur éventuel de voir et de dire. Je me suis efforcé de faire apparaître les additions en bleu, mais étant revenu souvent pour corriger, enlever ou ajouter, je n'ai plus une idée très nette de l'état originel de ce texte, n'en ayant pas conservé le "princeps". Il est donc probable que j'en ai oublié. Bon, est-ce que c'est grave, docteur ?

Journalistes, commentateurs professionnels, intellos, voire politiciens, tout le monde pense quelque chose du mouvement des gilets jaunes. Et que ça te dissèque l'événement, et que ça te décortique ses significations multicouches et que ça te propose des analyses plus pertinentes les unes que les autres. Au point qu'on ne sait plus où donner de la cervelle pour enregistrer le Niagara des propos.

En face, je veux dire dans la citadelle tenue par les troupes de choc du "team manager" de la "start-up nation" Emmanuel Macron, on est tétanisé, on pète de trouille et on ne sait plus quoi faire. Entre parenthèses, il y en a un qui doit se sentir soulagé d'avoir quitté le rafiot et de ne pas avoir à gérer la situation – je veux dire à manier le baril de poudre –, c'est notre merdelyon Gérard Collomb, ancien ministre de l'Intérieur. Et il y a un Raminagrobis qui est en train de ronronner près du poêle en s'affûtant tranquillement les griffes dans l'attente des élections européennes : le "Rassemblement National".

Comme tout le monde, j'ai évidemment ma petite idée sur la question. Dans la bouche des "gilets jaunes", pour dire vrai, j'ai entendu toutes sortes de choses, j'ai même entendu tout et son contraire. J'ai même entendu l'un d'eux parler de "complot sioniste" (je crois que c'était un "fesse-bouc live"). Autant dire n'importe quoi, et mieux vaut ne pas se demander de quelle matière est faite la cervelle de l'auteur de la formule.

J'ai aussi lu de très savantes analyses du phénomène, où les auteurs y vont allègrement avec le "name dropping", où l'on retrouve toutes sortes de penseurs, théoriciens ou philosophes, et toutes sortes de "grilles de lecture". Je ne me hasarderai pas à de telles altitudes : je suis un citoyen parmi d'autres, et je resterai à hauteur d'homme ordinaire. Je veux juste dire ici ce que je crois qu'il faut retenir. 

Je passe sur les appels à "Macron démission" et autres slogans comminatoires. Ce qui s'est passé, selon moi, est la réaction normale de toute une population à l'application féroce du programme voulu et déjà mis en oeuvre par Macron. Que veut ce monsieur ? Je crois qu'il veut que la France reste dans le peloton de tête des nations du monde, et c'est tout à son honneur, du moins apparemment. Mais à quel prix ? Mais dans quel monde ? Mais avec quelle méthode ? C'est là que ça coince salement. Monsieur Macron semble ne connaître qu'une "mondialisation heureuse". Quant à la méthode, rien d'autre que la cravache.

Or Pierre de Villiers, ancien chef d'état-major des armées que Macron a poussé à la démission en clamant en public : « C'est moi le chef ! », et qui vient de publier Qu'est-ce qu'un Chef ?, vient de déclarer (France Culture, bien sûr) qu'un chef, ça commence par concevoir (le but, la stratégie, la tactique, ...), puis il prend des décisions (il donne des ordres), mais ensuite, il a pour obligation de convaincre « les yeux dans les yeux » ses subordonnés. Car quand il dira « En avant ! », il faut que ça suive derrière. Et cela n'est possible que s'il a su inspirer confiance à toute sa "chaîne de commandement". Et pour cela, dit-il, « il faut aussi aimer les gens qu'on commande ». De Villiers aurait voulu donner un coup de poing dans la figure à quelqu'un (suivez mon regard), il ne s'y serait pas pris autrement : coup pour coup.


33'38"

A cet égard, on peut dire que monsieur Macron n'est pas un chef. Il ne suffit pas d'avoir le menton : encore faut-il avoir les épaules, la rigueur morale et le savoir-faire.

La stature "jupitérienne" et "verticale" qu'il a prétendu se donner suffisait, pensait-il, à le revêtir de l'autorité nécessaire pour tout faire passer, avec passage en force si nécessaire. Après le "petit caporal" (Sarkozy) et le sous-chef de bureau (Hollande), les Français ont élu Peter Pan, l'enfant-roi qui prend ses désirs pour des réalités. Sarkozy y allait au bulldozer (carte judiciaire de la France, RGPP, fusion des RG et de la DST, intervention en Libye, ...). Hollande, incarnation parfaite de l'indécision et de l'appel désespéré à la "synthèse", entre autres babioles que ses thuriféraires tiennent mordicus à porter à son crédit, aura attaché son nom à une réforme scandaleuse qui a déclenché une guerre civile "de basse intensité" : l'instauration du mariage homosexuel.

Macron, maintenant. Qu'est-ce qu'il veut faire ? C'est tout à fait clair, il l'a dit en 2015 à un journaliste (je ne sais plus si c'est Jean-Dominique Merchet ou Marc Endeweld, invités mercredi 5 décembre sur France Culture dans un numéro passionnant de l'émission Du grain à moudre d'Hervé Gardette, série "colère jaune") : « Je veux en finir avec le modèle social français ». Pourquoi ? La réponse est évidente : le modèle social français, c'est plein de sacs de sable dans les rouages de l'économie ultralibérale.

Pour Macron, le sable, ici, est haïssable, juste bon pour faire du béton ou pour se dorer le cuir : il faut mettre de l'huile, ce qui veut dire déréglementer à tout va, pour "libérer les énergies". En français : lâcher la bride à la "libre entreprise" pour qu'elle puisse courir grand train. Le Graal d'Emmanuel Macron, ressemble à un paradis, mais c'est un Eden réservé au plein épanouissement entrepreneurial. La grande affaire, c'est d'adapter la France au monde tel qu'il est, c'est-à-dire à la concurrence généralisée, à la compétition sans limite. Traduction : entrer dans la guerre de tous contre tous, et dans la vente aux enchères inversées de la force de travail, où c'est celui qui demande le salaire le plus bas qui emporte le désormais exorbitant droit de travailler, et d'être un peu (à peine) rémunéré pour cela, le critère étant le salaire minimum garanti au Bangla-Desh, les travailleurs du monde entier étant appelés à admettre cette nouvelle réalité des rapports sociaux – je veux dire : à se serrer toujours plus la ceinture. Car la France d'Emmanuel Macron (je veux dire l'image qu'il s'en fait dans sa trop grosse tête), c'est une machine efficace, productive, compétitive, concurrentielle et (surtout) rentable. Vive le Bangla-Desh libre !

Ce qui va avec, c'est, par exemple, tout le modèle anglo-saxon des relations sociales : primauté absolue de l'individu (Thatcher disait qu'elle ne savait pas ce qu'est une société : elle ne voyait que des "collections d'individus"), et remplacement sauvage de la Loi, surplombante et à laquelle tout le monde sans distinction est contraint de se soumettre (cf. les travaux d'Alain Supiot, moi j'appelle ça une arme contre les injustices et les inégalités) par le Contrat, ce mode de relation entre les gens où peut enfin s'épanouir pleinement ce que préfèrent en général les puissants : le rapport de forces. Les corollaires de ce modèle sont inéluctables : 1 - une forme inquiétante de darwinisme social, où ne survivent que les plus costauds ou les plus malins ; 2 - la montée exponentielle des inégalités au sein des sociétés.

Qui manifeste ? On commence à en avoir une idée. Beaucoup de gens n'avaient jamais fait entendre leur voix dans la rue, ne s'étaient jamais exprimés en public. C'en est au point que je me demande si ce n'est pas ça que les journalistes ont l'habitude de désigner sous l'expression générique "MAJORITÉ SILENCIEUSE" : des gens "sans voix" qui se font entendre, aucune théorie ne l'a prévu ou théorisé. Il faudrait aussi leur demander s'ils votent régulièrement aux élections, car je me demande aussi si on ne trouve pas dans leurs rangs beaucoup d'abstentionnistes. Je me demande si, parmi les gilets jaunes qui occupent les ronds-points et les péages, on ne trouve pas bon nombre de ceux qui ont renoncé à s'exprimer par la voie des urnes, parce qu'ils ont le sentiment que, de toute façon, c'est plié d'avance et que ça ne sert à rien. Je crois qu'ils ont raison : les types au pouvoir, aujourd'hui, ils sont tous pareils.

Dans le fond, ce qui se passe aujourd'hui nous rappelle que Macron a été porté au pouvoir par l'immense espoir d'un authentique changement dans la façon de faire de la politique et de diriger le pays. Ce qui se passe aujourd'hui traduit, je crois, le sentiment des Français de s'être une fois de plus fait rouler dans la farine : rien n'a changé dans les mœurs politiques françaises. Et cela signifie que Macron est un encore plus gros menteur que Chirac, Sarkozy, Hollande et compagnie. Et qu'il n'est certainement pas un "meneur d'hommes".

Un des aspects les plus étonnants selon moi du mouvement des gilets jaunes, c'est qu'on entend monter un puissant chant des profondeurs : nous voulons plus de justice sociale. Mais attention, pas de ces petites inégalités catégorielles et sociétales dénoncées par ce qu'il est convenu d'appeler des minorités tatillonnes et punitives (femmes, homosexuels, juifs, noirs, arabes, musulmans, ...), mais la grande injustice économique que constitue la confiscation des richesses par une minorité de rapaces insatiables, au détriment de l'énorme majorité des citoyens ordinaires. C'est l'économiste de l'OFCE Mathieu Plane qui parle d' « affaissement généralisé du niveau de vie » (je ne sais plus quel jour récent autour de 13h10 sur l'antenne de France Culture) : je peux dire que je le sais par expérience.

Quand j'entends des intellos estampillés, des journalistes institutionnels (tiens, au hasard, Christine Ockrent, que j'ai récemment entendue parler dans le poste) ou des irresponsables politiques appeler les gilets jaunes à la concertation et au débat, quand j'entends Daniel Cohn-Bendit les inciter à présenter des candidats aux élections européennes à venir, je reste confondu de stupéfaction : ces gens-là n'ont strictement rien compris à l'événement qui leur pète à la figure, et ils n'ont aucune idée de la réalité de l'existence quotidienne du commun des mortels. Je suis frappé par ce refrain obstiné du mouvement, qui réclame davantage de justice sociale.

Les revendications hétéroclites, les manifestants qui refusent d'avoir des représentants, tout cela a une signification : ce qui se manifeste avec brutalité sous l’œil gourmand des médias, ce n'est pas une catégorie bien définie, c'est tout simplement LA SOCIÉTÉ. Qui n'en peut plus. Les Français d'en haut peuvent bien parler du "vivre ensemble", de "refaire société" ou de "retisser l'unité nationale" (Edouard Philippe, hier), ils n'ont pas la moindre idée de ce que signifient les mots qu'ils prononcent. Ils ne savent pas ce que c'est, une "société" : ils ont les moyens d'acheter les services dont ils ont besoin. Ils parlent de "solidarité", mais dans leur tête, c'est bon pour les autres. Ils ont fait sécession, comme le disait Christopher Lasch dès 1994 dans La Révolte des élites. Et comme l'écrivait à peu près à la même époque Le Monde diplomatique : "Les riches n'ont plus besoin des pauvres".

Une des idées à peu près sensées qui me soit parvenue, c'est sous la plume d'Alain Bertho, anthropologue (mais je ne lui en veux pas) : si des gens ordinaires, "intégrés" et sans casier judiciaire sont venus en découdre avec l'ordre établi (avec la correctionnelle sur la ligne d'arrivée), ce n'est pas du tout parce qu'ils n'ont pas les mots pour s'exprimer, c'est qu'ils n'ont plus d'interlocuteurs.

Il n'y a personne en haut lieu, quelles que soient toutes les déclarations la main sur le cœur, pour consentir à leur parler vraiment, à les prendre en compte, à tenir compte dans la réalité et très concrètement de leurs problèmes, à prendre des décisions qui leur rendent la vie moins difficile. Les gilets jaunes ont parfaitement compris qu'ils n'ont plus personne en face à qui parler. Ce qu'il faut, ce n'est certainement pas un "Grenelle" de plus. Non, pas de discussion, pas de concertation, pas de négociation, pas de dialogue, pas de "conférence sociale". Rien de tout ça. Les gilets jaunes n'ont aucun programme, aucune ambition politique, aucune proposition, et pour une raison simple : ils subissent, ils ont de plus en plus de mal à "joindre les deux bouts", et ils en ont assez. Il y a peut-être une revendication commune, et une seule, c'est de ne plus avoir autant de mal à finir le mois. C'est juste ça qu'ils disent. La demande serait au moins à prendre en considération, non ?

Il y a peut-être aussi un appel aux responsables politiques (les responsables économiques sont définitivement inatteignables en l'absence de lois et règlements capables de limiter leur pouvoir) pour qu'ils prennent enfin les moyens d'être moins impuissants à agir sur le réel, dans le dur de la vie concrète des gens. Quand on est chargé de faire la loi, il s'agit de se donner les moyens de la faire appliquer envers et contre tout. Je ne suis pas sûr que la majorité parlementaire actuelle en ait la volonté (je crois même que c'est le contraire, à voir sa composition sociologique). Et je me dis que, même si elle en avait la volonté, elle serait épouvantablement entravée pour faire passer celle-ci de la virtualité conceptuelle dans la réalité sonnante et trébuchante.

Ce qu'il faudrait faire ? Tous les gens en "haut-lieu" le savent, mais freinent des quatre fers et n'en veulent à aucun prix : poser des limites à la voracité des puissants, corriger les inégalités en redistribuant plus équitablement les richesses produites et instaurer un système économique favorisant la justice sociale. Comment ? Les irresponsables le savent, mais freinent des quatre fers et n'en veulent à aucun prix : imposer des règlements à la finance et aux échanges économiques, et puis revenir à l'authentique impôt progressif, celui où tout le monde contribue au budget de l'Etat, en fonction de ses moyens. Plus je possède, plus je suis redevable. J'entendais Cohn-Bendit dire que, dans les années 1920, Ford concevait une échelle des revenus allant grosso modo de 1 à 7, et il semblait scandalisé (mais sans en tirer les conséquences) qu'elle s'étende aujourd'hui de 1 à 3000. Ce fait ahurissant devrait paraître totalement inadmissible aux yeux des gens raisonnables.

Le surgissement des gilets jaunes dans le paysage n'a selon moi pas grand-chose de politique : son origine se situe dans la mécanique qui produit l'appauvrissement du plus grand nombre. Les gens ordinaires n'en peuvent plus de sentir le nœud coulant se resserrer sur leur cou. Les difficultés rencontrées au quotidien par les gens ordinaires pour mener une vie normale ont une cause principale qui surpasse toutes les autres : les conditions concrètes faites à la grande majorité par le char d'assaut ultralibéral. C'est la mécanique implacable du système économique à la sauce ultralibérale qui a produit le gilet jaune.

La seule chose qui serait en mesure de calmer amertume et colère face aux difficultés croissantes de la vie quotidienne, ce serait qu'il annonce un vaste programme de redistribution des richesses qui soit plus juste. Mais c'est ce dont il ne veut à aucun prix.

Emmanuel Macron n'a plus rien à dire aux gens ordinaires.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : une fois faite cette analyse, reste une question : comment on fait pour changer le système ? Et là, c'est loin d'être gagné.

lundi, 10 décembre 2018

CE QUE ME DIT LE GILET JAUNE !

Journalistes, commentateurs professionnels, intellos, voire politiciens, tout le monde pense quelque chose du mouvement des gilets jaunes. Et que ça te dissèque l'événement, et que ça te décortique ses significations multicouches et que ça te propose des analyses plus pertinentes les unes que les autres. Au point qu'on ne sait plus où donner de la cervelle pour enregistrer le Niagara des propos.

En face, je veux dire dans la citadelle tenue par les troupes de choc du "team manager" de la "start-up nation" Emmanuel Macron, on est tétanisé, on pète de trouille et on ne sait plus quoi faire. Entre parenthèses, il y en a un qui doit se sentir soulagé d'avoir quitté le rafiot et de ne pas avoir à gérer la situation – je veux dire à manier le baril de poudre –, c'est notre merdelyon Gérard Collomb, ancien ministre de l'Intérieur.

Comme tout le monde, j'ai évidemment ma petite idée sur la question. Dans la bouche des "gilets jaunes", pour dire vrai, j'ai entendu toutes sortes de choses, j'ai même entendu tout et son contraire. J'ai même entendu l'un d'eux parler de "complot sioniste" (je crois que c'était un "fesse-bouc live"). Autant dire n'importe quoi, et mieux vaut ne pas se demander de quelle matière est faite la cervelle de l'auteur de la formule.

J'ai aussi lu de très savantes analyses du phénomène, où les auteurs y vont allègrement avec le "name dropping", où l'on retrouve toutes sortes de penseurs, théoriciens ou philosophes, et toutes sortes de "grilles de lecture". Je ne me hasarderai pas à de telles altitudes : je suis un citoyen parmi d'autres, et je resterai à hauteur d'homme ordinaire. Je veux juste dire ici ce que je crois qu'il faut retenir. 

Je passe sur les appels à "Macron démission" et autres slogans comminatoires. Ce qui s'est passé, selon moi, est la réaction normale de toute une population à l'application féroce du programme voulu et déjà mis en oeuvre par Macron. Que veut ce monsieur ? Je crois qu'il veut que la France reste dans le peloton de tête des nations du monde, et c'est tout à son honneur, du moins apparemment. Mais à quel prix ? Mais dans quel monde ? Mais avec quelle méthode ? C'est là que ça coince salement. Monsieur Macron semble ne connaître qu'une "mondialisation heureuse". Quant à la méthode, rien d'autre que la cravache.

Or Pierre de Villiers, ancien chef d'état-major des armées qui vient de publier Qu'est-ce qu'un Chef ?, vient de déclarer (France Culture, bien sûr) qu'un chef, ça commence par concevoir (le but, la stratégie, la tactique, ...), puis il prend des décisions (il donne des ordres), mais ensuite, il a pour obligation de convaincre « les yeux dans les yeux » ses subordonnés. Car quand il dira « En avant ! », il faut que ça suive derrière. Et cela n'est possible que s'il a su inspirer confiance à toute sa "chaîne de commandement".


33'38"

A cet égard, on peut dire que monsieur Macron n'est pas un chef. Il ne suffit pas d'avoir le menton : encore faut-il avoir les épaules et le savoir-faire.

La stature "jupitérienne" et "verticale" qu'il a prétendu se donner suffisait, pensait-il, à le revêtir de l'autorité nécessaire pour tout faire passer, avec passage en force si nécessaire. Après le "petit caporal" (Sarkozy) et le sous-chef de bureau (Hollande), les Français ont élu Peter Pan, l'enfant-roi qui prend ses désirs pour des réalités. Sarkozy y allait au bulldozer (carte judiciaire de la France, RGPP, fusion des RG et de la DST, intervention en Libye, ...). Hollande, incarnation parfaite de l'indécision et de l'appel désespéré à la "synthèse", entre autres babioles que ses thuriféraires tiennent mordicus à porter à son crédit, aura attaché son nom à une réforme scandaleuse qui a déclenché une guerre civile "de basse intensité" : l'instauration du mariage homosexuel.

Macron, maintenant. Qu'est-ce qu'il veut faire ? C'est tout à fait clair, il l'a dit en 2015 à un journaliste (je ne sais plus si c'est à Jean-Dominique Merchet ou à Marc Endeweld, invités mercredi 5 décembre sur France Culture dans un numéro passionnant de l'émission Du grain à moudre d'Hervé Gardette, série "colère jaune") : « Je veux en finir avec le modèle social français ». Pourquoi ? La réponse est évidente : le modèle social français, c'est plein de sacs de sable dans les rouages de l'économie ultralibérale.

Pour Macron, le sable, ici, est haïssable, juste bon pour faire du béton ou pour se dorer le cuir : il faut mettre de l'huile, ce qui veut dire déréglementer à tout va, pour "libérer les énergies". En français : lâcher la bride à la "libre entreprise" pour qu'elle puisse courir grand train. La grande affaire, c'est d'adapter la France au monde tel qu'il est, c'est-à-dire à la concurrence généralisée, à la compétition sans limite. Traduction : entrer dans la guerre de tous contre tous, et dans la vente aux enchères inversées de la force de travail, où c'est celui qui demande le salaire le plus bas qui emporte le droit de travailler. Car la France d'Emmanuel Macron (je veux dire l'image qu'il s'en fait dans sa trop grosse tête), c'est une machine efficace, productive, compétitive, concurrentielle et (surtout) rentable.

Ce qui va avec, c'est, par exemple, tout le modèle anglo-saxon des relations sociales : primauté absolue de l'individu (Thatcher disait qu'elle ne savait pas ce qu'est une société : elle ne voyait que des "collections d'individus"), et remplacement sauvage de la Loi, surplombante et à laquelle tout le monde sans distinction est contraint de se soumettre (cf. les travaux d'Alain Supiot, moi j'appelle ça une arme contre les injustices et les inégalités) par le Contrat, ce mode de relation entre les gens où peut enfin s'épanouir pleinement ce que préfèrent en général les puissants : le rapport de forces. Les corollaires de ce modèle sont inéluctables : 1 - une forme inquiétante de darwinisme social, où ne survivent que les plus costauds ou les plus malins ; 2 - la montée exponentielle des inégalités au sein des sociétés.

Qui manifeste ? On commence à en avoir une idée. Beaucoup de gens n'avaient jamais fait entendre leur voix dans la rue, ne s'étaient jamais exprimées en public. C'en est au point que je me demande si ce n'est pas ça que les journalistes ont l'habitude de désigner sous l'expression générique "Majorité silencieuse". Il faudrait aussi leur demander s'ils votent régulièrement aux élections, car je me demande aussi si on ne trouve pas dans leurs rangs beaucoup d'abstentionnistes. 

Un des aspects les plus étonnants selon moi du mouvement des gilets jaunes, c'est qu'on entend monter un puissant chant des profondeurs : nous voulons plus de justice sociale. Mais attention, pas de ces petites inégalités catégorielles et sociétales dénoncées par ce qu'il est convenu d'appeler des minorités tatillonnes et punitives (femmes, homosexuels, juifs, noirs, arabes, musulmans, ...), mais la grande injustice économique que constitue la confiscation des richesses par une minorité de rapaces insatiables, au détriment de l'énorme majorité des citoyens ordinaires. C'est l'économiste de l'OFCE Mathieu Plane qui parle d' « affaissement généralisé du niveau de vie » (je ne sais plus quel jour autour de 13h10 sur l'antenne de France Culture) : je peux dire que je le sais par expérience.

Quand j'entends des intellos estampillés, des journalistes institutionnels (tiens, au hasard, Christine Ockrent, que j'ai récemment entendue parler dans le poste) ou des irresponsables politiques appeler les gilets jaunes à la concertation et au débat, quand j'entends Daniel Cohn-Bendit les inciter à présenter des candidats aux élections européennes à venir, je reste confondu de stupéfaction : ces gens-là n'ont strictement rien compris à l'événement qui leur pète à la figure, et ils n'ont aucune idée de la réalité de l'existence quotidienne du commun des mortels. Je suis frappé par ce refrain obstiné du mouvement, qui réclame davantage de justice sociale.

Les revendications hétéroclites, les manifestants qui refusent d'avoir des représentants, tout cela a une signification : ce qui se manifeste avec brutalité sous l’œil gourmand des médias, ce n'est pas une catégorie bien définie, c'est tout simplement LA SOCIÉTÉ. Qui n'en peut plus. Les Français d'en haut peuvent bien parler du "vivre ensemble", de "refaire société" ou de "retisser l'unité nationale" (Edouard Philippe, hier), ils n'ont pas la moindre idée de ce que signifient les mots qu'ils prononcent. Ils ne savent pas ce que c'est, une "société" : ils ont les moyens d'acheter les services dont ils ont besoin. Ils parlent de "solidarité", mais dans leur tête, c'est bon pour les autres. Ils ont fait sécession, comme le disait Christopher Lasch dès 1994 dans La Révolte des élites. Et comme l'écrivait à peu près à la même époque Le Monde diplomatique : "Les riches n'ont plus besoin des pauvres".

Une des idées à peu près sensées qui me soit parvenue, c'est sous la plume d'Alain Bertho, anthropologue (mais je ne lui en veux pas) : si des gens ordinaires, "intégrés" et sans casier judiciaire sont venus en découdre avec l'ordre établi (avec la correctionnelle sur la ligne d'arrivée), ce n'est pas du tout parce qu'ils n'ont pas les mots pour s'exprimer, c'est qu'ils n'ont plus d'interlocuteurs.

Il n'y a personne en haut lieu, quelles que soient toutes les déclarations la main sur le cœur, pour consentir à leur parler vraiment, à les prendre en compte, à tenir compte dans la réalité et très concrètement de leurs problèmes, à prendre des décisions qui leur rendent la vie moins difficile. Les gilets jaunes ont parfaitement compris qu'ils n'ont plus personne en face à qui parler. Ce qu'il faut, ce n'est certainement pas un "Grenelle" de plus. Non, pas de discussion, pas de concertation, pas de négociation, pas de dialogue, pas de "conférence sociale". Rien de tout ça. Les gilets jaunes n'ont aucun programme, aucune ambition politique, aucune proposition, et pour une raison simple : ils subissent, ils ont de plus en plus de mal à "joindre les deux bouts", et ils en ont assez. Il y a peut-être une revendication commune, et une seule, c'est de ne plus avoir autant de mal à finir le mois. C'est juste ça qu'ils disent. 

Ce qu'il faudrait faire ? Tous les gens du "haut-lieu" le savent, mais freinent des quatre fers et n'en veulent à aucun prix : poser des limites à la voracité des puissants, corriger les inégalités en redistribuant plus équitablement les richesses produites et instaurer un système économique favorisant la justice sociale. Comment ? Les irresponsables le savent, mais freinent des quatre fers et n'en veulent à aucun prix : imposer des règlements à la finance et aux échanges économiques, et puis revenir à l'authentique impôt progressif, celui où tout le monde contribue au budget de l'Etat, en fonction de ses moyens. Plus je possède, plus je suis redevable. J'entendais Cohn-Bendit dire que, dans les années 1920, Ford concevait une échelle des revenus allant grosso modo de 1 à 7, et il semblait scandalisé (mais sans en tirer les conséquences) qu'elle s'étende aujourd'hui de 1 à 3000. Ce fait ahurissant devrait paraître totalement inadmissible aux yeux des gens raisonnables.

Le surgissement des gilets jaunes dans le paysage n'a selon moi pas grand-chose de politique : son origine se situe dans la mécanique qui produit l'appauvrissement du plus grand nombre. Les gens ordinaires n'en peuvent plus de sentir le nœud coulant se resserrer sur leur cou. Les difficultés rencontrées au quotidien par les gens ordinaires pour mener une vie normale ont une cause principale qui surpasse toutes les autres : les conditions concrètes faites à la grande majorité par le char d'assaut ultralibéral.

La seule chose qui serait en mesure de calmer amertume et colère face aux difficultés croissantes de la vie quotidienne, ce serait qu'il annonce un vaste programme de redistribution des richesses qui soit plus juste. Mais c'est ce dont il ne veut à aucun prix.

Emmanuel Macron n'a plus rien à dire aux gens ordinaires.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : une fois faite cette analyse, reste une question : comment on fait ? Et là, c'est loin d'être gagné.

Ajouté le 11 décembre : et ce n'est pas le propos tenu hier soir par le président qui va me faire changer d'avis.

dimanche, 14 octobre 2018

CLIMAT : LA RECETTE MIRACLE !

Dans la série "Des nouvelles de l'état du monde" (N°63).

Je ne l'ai encore dit à personne, mais j'ai inventé la recette miracle pour combattre le réchauffement climatique. Bon, pour être franc, je ne suis pas le seul à l'avoir trouvée. On ne peut même pas dire que c'est moi qui l'ai inventée. Mais comme je n'en entends jamais parler nulle part ailleurs que dans des journaux confidentiels ou dans des émissions écoutées par trois pelés et un tondu, j'ai décidé de la donner ici, gratuitement, dans ce blog à l'audience interplanétaire.

Parce que c'est vrai, à force d'entendre les cloches, tocsins ou glas sonnés par un nombre désormais appréciable de scientifiques et entendus par un nombre non négligeable de convaincus, et comme la chose s'est désormais insinuée dans "l'opinion publique" (entendez : le corps électoral), les responsables politiques (pas tous, et même très loin de là) ont commencé à considérer qu'ils devaient ajouter à leur arc la corde climatique, s'ils avaient l'intention d'entrer en résonance (entendez : récupérer des parts de marché) avec les gens dont ils attendent le bulletin à la prochaine échéance.

Mais attention, tous ces braves ambitieux qui se targuent et promettent d'en finir avec les maux qui accablent le dit corps électoral, n'ont pas la seule corde climatique à leur arc politique. Il y a aussi la corde "chômage-emploi-travail", la corde "impôts-taxes-pouvoir d'achat", la corde "terrorisme-sécurité-victimes", la corde "Europe-souveraineté nationale" (et quelques autres), qui représentent des parts de marché électoral à préserver farouchement contre les avanies de la concurrence. Car ça, ce sont des thèmes porteurs, de vrais incontournables.

(Soit dit entre parenthèses, le corps électoral, en général, veut du concret et de l'immédiat. Disons-le : le corps électoral, dans sa grande majorité, ne voit pas beaucoup plus loin que le bout de ses envies ou de ses obsessions du moment. Il est donc facile à berner.)

Je veux dire que la préoccupation climatique des candidats est une corde mineure. Un accessoire. C'est même la toute petite dernière des roues du carrosse, comme l'ont montré les couleuvres que Macron a fait avaler à Nicolas Hulot jusqu'à ce que celui-ci jette l'éponge. Je veux dire qu'en termes de part de marché, le climat ne saurait être considéré comme un thème prioritaire, ni même comme un thème porteur. Au mieux, dans les calculs, il est considéré comme un simple "plus", une variable d'ajustement tout juste capable de rameuter le ventre mou de la vaguelette de sensibilité écologique qui agite la surface de la population, au gré des bombardements médiatiques sur ce thème.

Mais même quand ils abordent le sujet dans leurs discours de campagne, tous les braves candidats-présidents-députés-sénateurs-maires se gardent bien de dire un seul mot de ce qu'implique concrètement dans la vie future des gens la lutte contre le réchauffement climatique. Car c'est là qu'ils prendraient des risques. Les risques qu'on prend quand on dit la vérité.

La vérité, c'est quoi ? C'est tout simple : l'humanité qui vit (ou qui s'en est fixé l'objectif) à la mode américaine, ou même seulement européenne, vit très au-dessus des moyens de la planète Terre. Autrement dit, l'humanité dépense plus que ce que la planète Terre lui fournit. Quand un ménage, une entreprise ou un Etat fait ça, ça porte rapidement un nom : le surendettement et la cessation de paiement. Elle se profile à plus ou moins longue échéance, cette faillite, mais c'est une certitude arithmétique. Et c'est l'humanité telle qu'elle fonctionne aujourd'hui qui aura mis la planète en faillite.

Le fonctionnement actuel, c'est quoi ? C'est tout simple : l'humanité qui vit à l'américaine est absolument insatiable. Elle pratique l'extraction folle : elle tape dans le capital et dépense sans compter. Elle vide la caisse à toute allure. Il y a l'extraction folle de toutes sortes de minerais qui servent à fabriquer tous les objets dont nous nous servons tous les jours comme s'ils faisaient partie de notre vie de toute éternité. Et puis il y a aussi (et peut-être surtout) l'extraction énergétique folle des substances destinées à faire tourner les moteurs de nos machines.

La vraie malédiction qui condamne notre époque, elle est dans cette logique qui meuble nos vies de masses d'objets, motorisés pour la plupart (ou branchés sur une source d'énergie, ce qui revient au même, puisque seul le carburant diffère), sans lesquels la plupart des gens qui les possèdent ne sauraient plus vivre, tant ils se sont rendus indispensables du fait de leurs effets directement palpables (les inventions techniques sont en général adoptées avec enthousiasme et sans réfléchir à cause de leur "utilité" et de leur usage "pratique" : quel progrès de ne plus avoir, dans les rues si étroites de la Croix-Rousse, à rabattre soi-même le rétroviseur !). L'existence quotidienne est devenue plus facile et plus confortable grâce à toutes ces inventions.

Et c'est vrai que le moteur est une invention prodigieuse. Mais il incarne en même temps la malédiction qui fait de notre mode vie un fléau pour la survie de l'humanité. Un modèle d'énergivoracité déraisonnable. Comme la fameuse anecdote qui court à propos d’Ésope et de la langue, le moteur est à la fois la meilleure et la pire des choses : instrument de confort et de liberté, il a été mis au service de la démence productiviste. 

Et la RECETTE, elle est précisément là : il ne faut pas se contenter d'agir pour limiter le réchauffement du climat, ce qu'il faut, c'est carrément le stopper, le réchauffement. Et pour cela, il suffirait d'arrêter les moteurs. Tous les moteurs. Et le MIRACLE dont parle le titre de ce billet, il est aussi exactement là : c'est qu'il n'y en aura pas. On le sait, il n'y a de miracle que pour ceux qui y croient. Le grand dessinateur Gébé avait autrefois conçu une gentille utopie. Il avait appelé ça "L'An 01". L'idée à l'époque avait suscité un engouement certain. Sur le ton de la fiction agréable, Gébé ne proposait rien de moins qu'une révolution.

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La couv' un peu amochée de mon EO : un vestige.

D'abord BD (1971 ou 19722, dans la revue Politique Hebdo, si je ne me trompe pas, puis en volume aux éditions du Square - Hara Kiri), c'était devenu un gentil film de Jacques Doillon en 1973. Le slogan était le suivant : « On arrête tout, on réfléchit et c'est pas triste ». Il y avait du doux rêveur chez le féroce Gébé, qui lui-même faisait semblant d'y croire. Il y avait, selon moi aujourd'hui, un irrémédiable désespoir dans la fiction rigolote de "L'An 01", qui tient pour acquise la disparition instantanée, sur un coup de baguette magique, de la totalité du système capitaliste. Une fiction qui, en fin de compte, aura fait bien du mal en répandant de façon totalement déraisonnable le sympathique mensonge que "c'est possible" et "qu'on peut y arriver (entendu sur une chaîne de grande écoute aujourd'hui même): « Avant de commencer, considérons le problème comme résolu ». Cela s'appelle aussi "prendre ses désirs pour la réalité". Alors quelle désillusion, quand la fiction se casse le nez sur le mur de la réalité !

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Une image de l'espoir, avant la désillusion (4ème de couv' de L'An 01). Le mec de gauche, qui appartient sans nul doute au système, a hélas raison. Je pense aux utopies de Notre-Dame-des-Landes, où les volontés de changement se heurtent, maintenant que l'aéroport est abandonné, aux réalités du cadastre : quel écologiste est en mesure d'agir sur le cadastre ? C'est qu'il faut l'administrer, le territoire, si l'on veut éviter les conflit entre les personnes. C'est à ça qu'il sert, le cadastre. 

Car on voit comment ça a tourné presque un demi-siècle après : l'urgence est assez rapidement devenue l'extrême urgence. Aujourd'hui, on peut dire qu'on en est arrivé à l'ultime ultimatum. Il y a quelque chose qui cloche dans le principe "optimisme". L'optimisme, moi, j'appelle ça l'espoir. Et l'espoir, je l'appelle croyance. Et la croyance, je l'appelle illusion. Les mots ne comptent pas. Seuls comptent les faits et les actes. Et cela seul devrait suffire à ouvrir les yeux.

Suitetfin demain.

vendredi, 31 août 2018

LA VACANCE DE M. HULOT

Dans la série "Des nouvelles de l'état du monde" (N°57).

LA DÉFAITE DE L'ENVIRONNEMENT

ou

« L'ÉCOLOGIE, ÇA COMMENCE À BIEN FAIRE ! ».

Je ne fréquente pas les cabinets ministériels, je ne circule pas dans les couloirs du pouvoir aux heures de pointe : je suis donc dans l'incapacité de dévoiler quoi que ce soit sur la fracassante démission du ministre de l'écologie. Si l'on se contente d'observer les faits, on peut cependant en tirer une conclusion bien nette : sale temps pour la planète ! 

Il est clair aujourd'hui que le placement de Nicolas Hulot dans le gouvernement d'Emmanuel Macron n'était qu'une manœuvre cosmétique et décorative : c'était un pur coup de com' destiné à récupérer au profit de ce dernier l'aura de popularité dont est nimbée l'image médiatique de Hulot. Pur et simple alibi dans un gouvernement par ailleurs entièrement converti à l'ultralibéralisme, Nicolas Hulot a quand même mis une année et le pouce avant d'avouer publiquement qu'il ne comptait pour rien dans les forces en présence. Il a mis plus d'un an pour admettre et avouer qu'il n'était qu'une potiche.

Le départ de Hulot met à nu et dévoile au grand jour la vraie vérité de Macron à l'égard de la défense de l'environnement. Je l'entends d'ici penser très fort la même chose que Nicolas Sarkozy : « L'écologie, ça commence à bien faire ! ». Cela s'appelle "METTRE BAS LES MASQUES". Oui, Nicolas Hulot n'était que le masque vert du président de la république (à ne pas confondre avec Le Visage vert, péché véniel du par ailleurs grand Gustav Meyrink, l'immortel auteur du Golem et de La Nuit de Walpurgis).

Que révèle l'aveu public d'impuissance de la part de l'ex-ministre ? Selon moi, malgré toutes les belles déclarations sur la prise de conscience de l'urgence, les gens au pouvoir et tous les cercles intéressés qui grenouillent pour orienter les décisions en leur faveur se soucient de l'écologie comme de leur premier biberon. Pour l'économie et pour la politique (ça va ensemble, puisque les deux ont à voir avec le pouvoir), la nature est un réservoir, et tant que le réservoir n'est pas complètement à sec, il faut y aller joyeusement. Tant qu'il reste des victuailles dans le placard, pas de raison de ne pas se servir. Les gens qui sont aux manettes ne sont pas prêts à changer les règles du jeu et les façons de fonctionner. Il semble même que le contraire soit vrai (un rapport suggère de construire six EPR dans les vingt ans qui viennent).

Soit dit en passant, ceux qui classent les écologistes parmi les groupes de pression ("lobbies") se foutent de la gueule du monde. Il suffit de comparer les forces de frappe en présence pour se rendre compte que la capacité des défenseurs de l'environnement d'influer sur les décisions n'a rien à voir avec le pouvoir de nuisance des légions de porte-flingue grassement payés pour représenter les industriels auprès des décideurs : la FNSEA (une sorte de mafia) bombarde le gouvernement de demandes de dérogation pour pouvoir continuer à répandre leurs pesticides néonicotinoïdes qui exterminent les abeilles. Et je ne parle pas des instances européennes de Bruxelles, où les vrais lobbyistes – qui se comptent par milliers – ricanent de voir le petit Martin Pigeon suer sang et eau pour faire avancer la cause écologique.

Macron, sans rien avouer publiquement, a emboîté le pas derrière Donald Trump : il a concrètement dénoncé les accords de Paris (COP 21). La seule loi de Macron est celle de la compétition économique acharnée, compétition dans laquelle tous les moyens sont bons. Avec les conséquences qu'on sait pour la planète et l'humanité.

Voilà ce que révèle la démission de Nicolas Hulot. 

La planète sait donc à quoi s'en tenir sur le sort qui lui est réservé. Même chose pour les humains qui l'habitent. 

lundi, 02 juillet 2018

80 KM/H : CATASTROPHE NATIONALE

Etripage national sur la limitation à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur central : voilà un beau débat national qui montre, d'une part, le niveau des vraies préoccupations des Français et, d'autre part, la suprême habileté d'un Emmanuel Macron dans le maniement du chiffon rouge, du rideau de fumée et de la diversion réunis. Que signifie, en réalité, au sujet de l'état moral et intellectuel de la France, cette guerre sur la limitation de la vitesse des véhicules automobiles ?

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Une du Monde daté 1 juillet 2018.

Premièrement, que la France éternelle, la France des droits de l'homme, bref, la France, est tombée bien bas quand il s'agit des questions essentielles, telles que la survie de l'humanité en milieu de plus en plus hostile. Deuxièmement, que monsieur Macron, dignitaire en chef de la nation, a compris à merveille comment, dans une période épineuse, on dirige l'attention fiévreuse du peuple dans diverses directions secondaires, des voies de garage où la vox populi s'enlise dans les sables mouvants de la controverse futile.

Emmanuel Macron n'a pas oublié la grande leçon de Mitterrand, qui avait, en je ne sais plus quelle année, dégainé Mazarine, sa fille secrète, au moment où ça chauffait pour lui parce que des fouineurs avaient déterré l'amitié indéfectible qui le liait à un certain René Bousquet, collabo notoire. Et je me pose la question, monsieur Macron : qu'avez-vous à cacher ? A faire oublier à tout prix ?

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Accessoirement, je note que les médias, bien disciplinés, le doigt sur la couture du pantalon, se révèlent caisses de résonance idéales aux bruits que fait le pouvoir pour détourner l'attention des gens du cœur du problème : la constante aggravation des conditions qui lui sont faites par le dit pouvoir depuis lurette (effondrement programmé de l'hôpital public, mélange public/privé présenté comme solution miracle à tout, dégradation constante des conditions d'enseignement, baisse constante des effectifs de fonctionnaires de l'Etat, privatisation de tout, etc...).

Pensez-vous que ce tableau noir soit la préoccupation prioritaire des Français ? NON. Les Français s'étripent au sujet de la limitation de vitesse sur les routes à double sens sans séparateur central. Allons, tout ne va pas aussi mal que certains mauvais esprits se complaisent à le dire ! On est fier d'appartenir à un pays capable de se chamailler au sujet des limitations de vitesse. Belle opération de diversion. Bravo, monsieur Macron : vous êtes un excellent prestidigitateur !

Elle est pas belle, la France ?

jeudi, 21 juin 2018

DIVERSIONS

Des nouvelles de l'état du monde (N°56).

« NOTRE MAISON BRÛLE, ET NOUS REGARDONS AILLEURS. »

Jacques Chirac, en 2002, à Johannesburg.

Qu'est-ce que c'est, faire de la politique, dans une démocratie de masse ? C'est d'une part agir sur le réel (ou plutôt donner l'impression qu'on est en mesure de modeler le réel pour le bien des masses), et d'autre part faire participer les dites masses à ces actions (ou plutôt donner l'impression aux masses qu'elles participent aux décisions qui les concernent). Macron, à la tête du pays, montre qu'en la matière, il est un grand virtuose. Et d'une manière qui m'incite à reformuler la formule creuse de Chirac.

« Pendant que nous mettons le feu à la maison, faisons en sorte que les masses regardent ailleurs. »

J'explique : l'habileté ahurissante de Macron consiste, pendant qu'il s'efforce de parachever l'entreprise de destruction de la maison commune, à agiter des chiffons rouges pour hypnotiser les foules. Il est passé maître dans cet art qui tient de la prestidigitation. D'un côté, il met le feu à tout ce qui ressemble encore à du "bien commun" (bientôt une insulte, vous allez voir), et de l'autre, il amuse la galerie .

La maison qui brûle ? La planète, bien sûr, mais pas que. Pas besoin de reprendre l'énumération, il suffit de se tenir au courant des événements pour se trouver noyé dans l'information. Tiens, cette baleine venue agoniser sur une plage de Thaïlande, le ventre plein de sacs plastique qui l'empêchaient de se nourrir. 

La maison qui brûle ? Pêle-mêle (ça veut dire dans le plus grand désordre et dans toutes les directions, mais un tir méchamment groupé dans le temps), quelques titres dans le journal (avec les dates précises) :

Effondrement des colonies d'abeilles en France (les apiculteurs [happy-culteurs ?], en détresse, demandent au gouvernement un plan de soutien exceptionnel aux sinistrés) (8 juin) ;

Confronté à l'érosion des sols, le Rwanda reforeste massivement, (sous-titre : l'épuisement des terres menace la sécurité alimentaire du pays) (17 juin) ;

Touffeur et pollution extrêmes à New Dehli (sous-titre : une tempête de poussière piège la ville indienne) (17 juin) ;

En Chine, des citoyens sous surveillance (sous-titre : la ville de Suqian, un agglomération de cinq millions d'habitants, teste un système de notation des personnes et des entreprises censé instaurer une société plus fiable) (16 juin) ;

L'homme pousse les animaux à une vie nocturne (sous-titre : l'expansion humaine bouleverse les modes de vie des mammifères sur toute la planète) (16 juin) ;

Les Antilles face au désastre des sargasses (sous-titre : malgré un plan d'urgence annoncé par l'Etat pour lutter contre ces algues, la population se sent abandonnée) (15 juin) ;

Chute de l'intelligence (sous-titre : le QI, après avoir augmenté au cours du XX° siècle, régresse depuis 1995 dans les pays développés. Une étude sur des conscrits norvégiens permet d'attribuer cette baisse à des facteurs environnementaux et non à des causes génétiques) (13 juin) ;

Alerte, l'océan coule ! (sous-titre : Vice-première ministre de Suède, Isabella Lövin invite les autres nations à protéger l'océan pour éviter une catastrophe humanitaire mondiale) (13 juin) ;

Le métier d'enseignant ne fait plus rêver (sous-titre : les concours de recrutement de professeurs attirent moins de candidats) (13 juin) ;

Inégalités scolaires : la France montrée du doigt (sous-titre : les zones d'éducation prioritaire manquent de professeurs diplômés, selon l'OCDE) (13 juin) ;

Dans l'Utah, la bataille pour protéger Bears Ears (sous-titre : Donald Trump a ouvert à l'exploitation minière et pétrolière une région indienne classée par Barack Obama) (13 juin) ; 

La France exposée aux migrations africaines (article qui souligne que les femmes africaines sont très prolifiques : entre trois et sept enfants chacune, à comparer avec les taux européens) (12 juin) ;

"La pire crise humanitaire depuis la seconde guerre" (sous-titre : La faim augmente de nouveau dans le monde, alerte le directeur du Programme alimentaire mondial) (12 juin) ;

Chlordécone : une honte d'Etat (intertitre : et cet empoisonnement a été décidé en connaissance de cause ; autre intertitre : plus de 90% des Antillais présentent des traces de ce perturbateur endocrinien) (10 juin) (commentaire : entre les algues et le chlordécone, les Antillais sont gâtés) ;

Climat : vers 4° à 5°C de plus à la fin du siècle à Paris (sous-titre : Météo France publie ses projections pour la capitale en fonction des scénarios d'émissions mondiales de CO2) (9 juin) ;

CAC 40 : la priorité aux actionnaires contestée (sous-titre : dans un rapport, l'ONG Oxfam dénonce un partage des profits devenu très défavorable aux salariés) (15 mai) ; 

"La montée des inégalités s'impose comme une préoccupation" (15 mai) ; 

Michel Aglietta, penseur des limites du capitalisme (sous-titre : alors qu'un colloque vient de lui être consacré à la banque de France, trois chercheurs estiment qu'il est temps de suivre les voies tracées par l'économiste pour échapper aux pathologies du système) (31 mai) ;

En Tanzanie, le tourisme chasse les Masai (sous-titre : les zones interdites au peuple semi-nomade se multiplient) (12 mai) ;

Comment les humains déclenchent des tremblements de terre (sous-titre : une étude montre les mécanismes par lesquels la fracturation hydraulique, la géothermie et l'extraction de gaz provoquent des séismes (12 mai) ; 

Le fléau des batraciens venait de Corée (sous-titre : la pandémie, qui décime les amphibiens, s'est répandue à la faveur du commerce mondial) (16 mai) ; 

Une hausse de plus de 1,5°C dévasterait la biodiversité (une étude montre que limiter le réchauffement est un enjeu vital pour les animaux et les plantes) (19 mai) ; 

La France autorise une raffinerie qui va accentuer la déforestation (le préfet des Bouches-du-Rhône donne son feu vert à la bioraffinerie de La Mède, qui va exploiter 300.000 tonnes d'huile de palme par an) (19 mai) (commentaire : les deux pieds les deux mains dans La Mède) ;

La faune sauvage victime de la cybercriminalité (sous-titre : l'ONG IFAW révèle l'ampleur du commerce en ligne qui met en péril des espèces menacées d'extinction) (24 mai) ;

Bientôt des bébés à la carte ? (sous-titre : profitant des progrès des techniques de séquençage de l'ADN, des start-up américaines proposent aux particuliers, à grand renfort de marketing, une gamme de tests évaluant le risque pour eux d'avoir un enfant malade) ( 24 mai) ; 

Nicolas Hulot "sonne le tocsin" (sous-titre : le ministre de la transition écologique présentera en juillet un plan d'action contre l'érosion du vivant, après une consultation du public) (20 mai) (commentaire : monsieur Alibi et monsieur Faux-Cul ne quitteront pas le navire : la place est trop bonne) ;

Les conflits environnementaux se multiplient en Inde (sous-titre : treize manifestants ont été tués par la police dans le sud du pays) (27 mai) ;

Quarante ans de financiarisation de l'économie (dans un dossier "Les actionnaires, profiteurs ou investisseurs ?" (27 mai) (commentaire : "chérie, devine qui vient piquer ton dîner ?") ;

La pollution industrielle imprègne les habitants de Fos-sur-Mer (sous-titre : une étude relève une surimprégnation, notamment en plomb, une surexposition aux particules ultrafines, et souligne un "effet cocktail") (30 mai) ;

L'interdiction du glyphosate rejetée par les députés (assez éloquent : pas besoin du sous-titre) (30 mai) ;

La loi alimentation enterre plusieurs promesses de Macron (sous-titre : malgré les avancées, le texte est jugé comme "un rendez-vous manqué" par de nombreux députés, y compris dans la majorité) (31 mai) (commentaire : en politique, tout dans le clairon) ;

Climat : les Américains ont enrayé la dynamique (pas besoin du sous-titre) (1 juin) ;

Donald Trump, portrait d'un tricheur (commentaire : cet homme est vraiment, et collectivement, dangereux : où il entraînera les USA, là il entraînera l'Occident) (1 juin) ; 

Le modèle français du logement social en danger (sous-titre : les ponctions financières imposées au monde HLM, qui le fragilisent, ne seront qu'à moitié compensées) (5 juin) ;

Richesse : les écarts se creusent entre propriétaires et locataires (entre 1998 et 2015, l'envolée des prix de la pierre a gonflé de 133% le patrimoine des détenteurs d'un bien immobilier) (7 juin) ;

Chaque année, la contrefaçon fait perdre 60 milliards d'euros à l'Europe (7 juin).

Dernier arrivage : 

Le vignoble français est menacé par le dépérissement (sous-titre : les maladies des ceps touchent un pied sur dix) (20 juin)

La grande distribution fait son beurre sur le dos des agriculteurs (sous-titre : les prix agricoles ont progressé de 3% en 2017, selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires) (20 juin) (commentaire : c'est beau, un "Observatoire") (détail : le kilo de jambon, en 2017, a rapporté 3,74€ à l'agriculteur et 4,17€ au distributeur, combien pour l'actionnaire ?) 

Tous ces titres et sous-titres sont tirés, mot à mot, du journal Le Monde.

Bon courage à tout le monde !

 

Emmanuel Macron n'oublie pas de faire sa part : il continue à détruire ce qu'il reste de commun dans ce qu'on appelle les biens. Il continue à désengager l'Etat de toute responsabilité, et il continue sur la lancée de tous ses prédécesseurs : comme Jospin, comme Chirac-Villepin, comme Sarkozy, il vend les bijoux de famille (Aéroports de Paris, Engie, Française des jeux, sans compter tout ce qui est en train de pointer le bout de l'oreille : Orange, PSA, Renault, quoi encore ?), il achève de privatiser le bien public pour que ce qui nourrissait le budget de l'Etat rapporte enfin quelque chose aux propriétaires privés (je caricature, mais c'est la tendance : on se souvient de la privatisation des autoroutes).

Pendant qu'il fait son Néron au petit pied face à Rome incendiée, Macron, en artiste ("qualis artifex pereo", soupirait Néron au moment de mourir), pince les cordes des "débats de société" pour amuser la galerie : il est à fond pour qu'on réprime sévèrement le "harcèlement de rue". Il est à fond (enfin, ça dépend des sondages du jour) pour la libéralisation de la PMA pour les lesbiennes et de la GPA pour je ne sais plus qui. Il est à fond pour l'entente entre les religions de France (même s'il le pense, il a peur d'affirmer que l'islam ne saurait être une "religion de France"). Il est à fond contre le racisme et l'antisémitisme. Il est à fond contre les discriminations. J'oubliais la "limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes à doubles sens de circulation" !

J'ajoute aujourd'hui [28 juin] la réécriture de la Constitution avec disparition du mot "race", et en "écriture inclusive", s'il vous plaît.

Qu'on me pardonne, mais je ne vois dans ces bisbilles "culturelles" et concertées que des chiffons rouges, des rideaux de fumée destinés à empêcher les foules de porter leur attention sur ce qui, demain, rendra leur vie personnelle concrète plus difficile. Sur ce qui aggrave tous les jours l'état de la planète et de l'humanité. Pendant qu'on s'arrange pour que les mentalités individuelles et les subjectivités épidermiques se fassent la guerre, on ne touche pas aux processus de production, on ne touche pas à la structure de la machine : on laisse le rouleau compresseur avancer à son rythme imperturbable. 

On ne m'excusera peut-être pas, mais tant pis : pendant que la réalité des conditions de vie se dégrade un peu plus tous les jours, Macron lance de très beaux, très vifs "Débats de Société". Résultat, les gens s'écharpent au sujet des comportements des uns, de l'identité des autres, de l'aspect des choses : affaire Weinstein, avec les traîtresses qui affirment leur "droit" à être "importunées" ; compétition entre les dénonciateurs de l'antisémitisme et les ennemis de l'islamophobie ; mise au ban de la société de tout ce qui est soupçonné de véhiculer l'homophobie.

Moralité : aussi longtemps que régnera la zizanie au sein de la population sur des sujets sociétaux, les auteurs des dégâts réels infligés à l'environnement, aux ressources alimentaires, à tout ce qui fait la vie humaine agréable et désirable, pourront dormir tranquilles et se sentiront encouragés à poursuivre leurs efforts de destruction. 

Conclusion : l'art de la politique consiste à désigner la lune à la foule des badauds, pour que ceux-ci oublient de regarder le doigt qui appuie sur la détente.

Un bon politicien est un bon prestidigitateur : en donnant son spectacle, il abolit la réalité.

La prestidigitation ? Faire apparaître les choix individuels de vie comme plus importants que les conditions matérielles collectives de l'existence. Qui sont parfaitement mesurables et objectivables, elles. Ce qui n'est pas le cas des subjectivités.

dimanche, 20 mai 2018

L'ACTIONNAIRE GOUVERNE LE MONDE

N°55 de la série "Des nouvelles de l'état du monde".

Un "rapport" très récent (d'un machin bizarroïde appelé CAP22, dont certains membres ne veulent même pas que leur signature figure à la fin parce que) somme le gouvernement français de réorganiser l'Etat, pour en faire une machine « efficace et économe ». Et figurez-vous que ça tombe bien parce que, sur la page de droite du même journal, juste en face, la Cour des Comptes « presse le gouvernement de baisser la dépense ». Tous ces gens raisonnables ont forcément raison : l'Etat ne saurait être la solution, parce qu'il est LE problème. Soit dit en passant, ceci est la conviction absolue des libertariens américains.

Il faut le savoir : être moderne, c'est détester l'Etat et tout ce qui va avec, fonction publique, statuts des personnels, gratuité des services (quoique ...), sécurité de l'emploi (quoique ...), etc. Tout ça pour "libérer les énergies" et faire de la France une "start-up-nation". Être moderne à la façon d'Emmanuel Macron, c'est vouloir calquer le fonctionnement des services de l'Etat sur celui des entreprises privées. Et le résultat de ce raisonnement raisonnable est déjà partout visible. Ci-dessous une partie de l'état des lieux (je veux dire : un aperçu des dégâts présents et futurs).

***

L'économie mondiale est entre les meilleures mains possibles : les mains de l'actionnaire. C'est le journal Le Monde (mardi 15 mai) qui le dit, sous la plume de Denis Cosnard : « Entre les dividendes et les rachats d'actions, les groupes du CAC 40 ont, depuis 2009, transféré à leurs actionnaires 67,5% de leurs bénéfices ». C'est un certain, déjà très libéral, Nicolas Sarkozy qui, en 2009, durant ses années de "responsabilités", disait : « Un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les travailleurs, un tiers pour l'investissement ». On se dit que cet homme était encore d'une pondération remarquable, quand on voit que deux bons tiers des profits sont désormais consacrés au seul indicateur exact de la religion du fric : le dividende.

L'investissement ? Mais il faudrait que les entreprises aient des perspectives raisonnables de croissance et qu'elles voient s'ouvrir de nouveaux marchés, voyons. Les travailleurs ? Mais pourquoi faudrait-il augmenter leurs salaires, quand on peut avoir des résultats identiques, par exemple en transférant les unités de production en Pologne ? Encore heureux s'ils peuvent se voir attribuer « 5% du total sous forme d'intéressement et de participation », c'est-à-dire loin derrière les 27,5% consacrés à l'investissement, considérés comme "simple variable d'ajustement". Autant dire peau de balle et balai de crin : les travailleurs, ils peuvent crever, ils existent à peine sur les écrans féeriques où se dessinent les courbes des dividendes. 

Même Patrick Artus, qu'on ne saurait soupçonner d'être communiste sans le vexer, s'alarme : « Les actionnaires s'efforcent de préserver coûte que coûte dividendes et rendement du capital, et demandent aux salariés de porter sur leurs épaules une part croissante des risques économiques. C'est le monde à l'envers ! » (à l'envers : un des grands arguments des "investisseurs" est en effet de mettre en avant les "risques" qu'ils font courir à leur argent en le plaçant dans une entreprise). Eric Galiègue, président de Valquant, bureau d'analyse financière, est d'accord : la rétribution des actionnaires, qui oscillait entre 30 et 40% des profits entre 2000 et 2010, va aujourd'hui de 45 à 60% (sans parler des rachats de leurs propres titres par les entreprises elles-mêmes !).

Le Monde précise que certains groupes vont parfois bien au-delà : « Parfois même davantage que la totalité de leurs profits, comme cela a été le cas ces dernières années pour LafargeHolcim, mais aussi ArcelorMittal, Engie ou Veolia ». Le journaliste ajoute : « Tout se passe comme si les actionnaires avaient pris le pouvoir au détriment des autres acteurs de l'entreprise, en s'appuyant sur des dirigeants chargés de "créer de la valeur" avant tout pour les propriétaires du capital, et payés en conséquence ». Les rémunérations miraculeuses de Carlos Ghosn ou Carlos Tavares ne sont en réalité que les noisettes que les actionnaires laissent tomber de la table pour des serviteurs zélés.

Patrick Artus (toujours lui) conclut dans son livre récent : « Dès lors que ces actionnaires trouvent légitime d'encaisser un rendement de 13% ou 15% quand le coût de l'argent est à 2%, il n'est guère d'autre solution pour un dirigeant [dont le siège est éjectable à volonté] que de faire feu de tout bois, de s'endetter sans mesure, d'étrangler les salariés, les fournisseurs, les partenaires de toutes sortes, d'émettre du CO² sans payer, de brûler les ressources naturelles sans considération pour les dégâts occasionnés, et aussi d'organiser de lucratives opérations de rachat d'actions ». Ce n'est pas un manifeste communiste, mais ça pourrait. De la part d'un banquier, c'est assez rare pour être noté. Sa conclusion : c'est l'actionnaire qui fait la loi. Et cela crée une situation dangereuse. Moralité : Patrick Artus est un banquier perspicace et lucide, qui voit un peu plus loin que le bout de son nombril.

"Rachat d'actions", c'est quoi, cette bête ? Si j'ai bien compris, quand une entreprise a atteint une taille de mastodonte, ce qui fait mécaniquement baisser les perspectives de croissance, elle produit des capitaux dont elle n'a rien à faire en son sein. Deux financiers (et qui sèment la bonne parole dans le riche terreau de HEC, s'il vous plaît) trouvent qu'il « est plus sain de reverser ces liquidités à leurs actionnaires que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs ». Les deux financiers-prêcheurs parlent des actionnaires et des investissements, mais omettent purement et simplement le "troisième tiers" : ils n'ont pas une pensée pour les salaires et les salariés. On voit sur quelle logique ils fondent leur raisonnement !

Et quand on parle du rachat de ses propres actions par l'entreprise, on n'est pas dans la gnognotte : c'est du très lourd. « Selon JPMorgan, les rachats effectués par les groupe du S&P500 [indice de Standard and Poors, notre CAC40, mais en grandeur américaine] pourraient atteindre 800 milliards de dollars en 2018, un record absolu, contre 520 milliards en 2017 ». A lui seul, Apple y est pour 100 milliards : une paille. C'est tout naturellement que les termes "la folie actuelle" viennent sous la plume de Denis Cosnard pour parler de ce phénomène.

Maintenant, je me pose une question : qu'est-ce que c'est, un actionnaire ? Certains journalistes à vocation économique disent volontiers : "les investisseurs", quand on parle de la déconfiture, réelle ou supposée, d'une entreprise, et qu'on se demande si on a une chance de la voir secourue par des gens charitables. Mais je repose ma question : qui se cache derrière "investisseurs" ? Si je ne délire pas totalement, je me dis qu'on les appelle aussi, en général, "fonds de pension" (chargés en théorie de rémunérer les économies de la veuve écossaise). Mais si vous dites "fonds spéculatifs", voire "fonds vautours", vous serez sans doute plus près de la réalité.

Ce sont eux qui promettent des 13% ou 15% de rendement annuel, et qui se tirent la bourre pour dégager toujours plus de "résultat net" (alias "bénéfice net"), quel qu'en soit le coût humain. Voilà le tableau de l'économie telle qu'elle se pense et se pratique aujourd'hui, de l'économie qui passe autour du cou de l'humanité le lacet de l'étrangleur. Voilà le tableau de l'avenir que nous promet le programme économique d'Emmanuel Macron, "président par effraction" (lui-même dixit) et de tous ses semblables de par le monde, programme qui s'intitule "Grande Privatisation de Tout" (GPT).

Il ne restera plus à l'Etat, débarrassé une fois pour toutes de la défense du bien commun (autrefois les "services publics"), que les tâches régaliennes de garde-chiourme, un geôlier qui veille, arme à la main, à la scrupuleuse application du programme économique. Il y aura toujours un Etat, mais il fonctionnera bel et bien, alors, au seul bénéfice des actionnaires. Il sera totalement à leur service. Le rêve de Macron et de quelques autres (demandez-vous pourquoi Macron fait dans le "jupitérien" et l'autoritaire ; s'il tend à concentrer les pouvoirs entre ses mains, c'est toujours pour "davantage d'efficacité").

Accessoirement, je me dis que la quantité interstellaire ("astronomique" est trop faible) d'argent (virtuel pour une bonne part, si j'ai bien compris) qui circule aujourd'hui dans le monde fait que l'argent lui-même ne sait plus quoi faire pour s'auto-reproduire jusqu'à l'infini, jusqu'à ne plus savoir où se placer. D'où, peut-être, l'explosion des dépenses somptuaires, comme on le voit dans de récentes ventes aux enchères. Que préférez-vous ? Ce Modigliani (excellent peintre au demeurant, mais) à 150.000.000 ? Ce fauteuil du Ritz à 5.000, parce que Coco Chanel y a frotté son cul (crevant le plafond des estimations) ? Cette Ferrari F40 à 1.200.000 € (1.400.000 francs neuve, en 1987, si je me souviens bien : un bon placement) ?

Il y a quelque chose de sinistre dans ce tableau de l'avenir.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 03 avril 2018

LE RÉFUGIÉ SERA LE GENRE HUMAIN

Ils ont raison : laissons Macron détruire la SNCF. Laissons les ultralibéraux instaurer au plan mondial la "concurrence libre et non faussée", la dictature des marchés, la privatisation généralisée des services publics et de tout ce qui était commun, la compétition de tous contre tous, le règne de la force et de la logique économiques. Il faut que l'humanité devienne enfin une machine efficace, capable de "cracher du cash" comme un jackpot de machine à sous, mais sans cette maudite imperfection qu'on appelle le hasard. Les riches seront des rentiers, les pauvres seront de pauvres diables de plus en plus pauvres, qui erreront sur la planète à la recherche d'un peu de nourriture et d'abri. Un programme riche en potentialités de développement : excellentes perspectives donc pour l'industrie de l'humanitaire. Champagne, MSF ! Champagne, CCFD ! Champagne Human Rights Watch ! (ajouté le 3 avril)

 

17 décembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (12).

LE RÉFUGIÉ SERA LE GENRE HUMAIN

(air connu)

Rien ne se perd, dit-on. Le « Réfugié » moins que tout le reste. Plus vous avez de réfugiés, mieux les affaires se portent. Enfin, pour certains. Disons : pour certaines entreprises. Disons : pour Logistic Solutions, entreprise basée à Brie en Ille-et-Villaine, qui a fourni en 2016 plein de très beaux containers en métal blanc pour loger 1.500 réfugiés de la "jungle" de Calais. « On est là pour faire du business », lance un dirigeant de cette entreprise qui a de toute évidence l'âme altruiste. On l'aurait à moins.

Car le "réfugié" est un créneau porteur, voire un marché d'avenir, qu'on se le dise, porté par la vague de l'effondrement annoncé. Entre les réfugiés politiques, les réfugiés économiques, les réfugiés climatiques, les réfugiés religieux (chrétiens d'orient, yézidis, rohingyas, etc.), les réfugiés volontaires, les réfugiés touristiques, les réfugiés professionnels et tous les autres, l'armée des petits soldats de l'intervention humanitaire ne va bientôt plus savoir où donner de la tête, du cœur, de la main secourable et de l'intention louable. Parole de patrons : il va être de plus en plus juteux d'investir des sommes importantes dans le domaine de l'altruisme international, tant s'annonce prometteur le retour sur investissement. Vive l'effondrement, se dit-on dans les entreprises spécialisées !

C'en est au point qu'il y a des "sommets mondiaux de l'humanitaire" qui s'organisent depuis quelque temps, à l'image de celui qui s'est tenu en mai 2016 à Istanbul, sans doute pour commencer à "structurer le marché" et à se répartir les tâches. On y trouve absolument de tout, du plus humble article de camping ("lampe autorechargeable") jusqu'à la cité de containers, et à la ville de toile livrée clé en main (clé de montage Ikéa cela va de soi). On apprend au passage que le réfugié aime assez le camping, même si c'est parfois du camping très sauvage, y compris dans des endroits peu hospitaliers, dépourvus d'eau et de commodités. 

Il y a douze millions de personnes dans le monde qui vivent en camps de réfugiés. Alors vous pensez si ça vaut le coup de s'y intéresser. La demande a tellement enflé en quelques années de chaos variés et d'effondrements plus ou moins locaux, que les Etats ne peuvent plus suivre et que des organisations aussi puissantes et reconnues que le Haut Comité pour les Réfugiés (HCR) font de la sous-traitance à des entreprises privées (comme Logistic Solutions). 

Il faut dire que le HCR de l'ONU, dont le rôle était de colmater les minces fissures apparues sur les murailles compactes de l'action des Etats, doit désormais, vu l'élargissement des fissures en autant de brèches béantes, prendre en charge des tâches qui relevaient jusqu'alors de la responsabilité et de la souveraineté de chacun de ces Etats. Comme si, trop contents d'échapper aux accusations de maltraitance, le Soudan, la Jordanie, le Kenya, et combien d'autres Etats souverains, se désistaient au profit de la « Communauté Internationale », lui abandonnant une part de leur territoire (à condition qu'elle n'empiète jamais sur ses prérogatives régaliennes). Que ceux qui ne voient pas dans ces démissions de l'action publique une aggravation inquiétante lèvent la main.

Le PAM (Programme Alimentaire Mondial, encore l'ONU), sans doute fatigué de distribuer de quoi nourrir les populations en détresse, a même décidé d'ouvrir deux supermarchés dans le camp de Zaatari en Jordanie. Particularité : ce sont des groupes privés qui gèrent ces établissements. On les imagine sans peine en train de prospecter pour trouver le plus bel emplacement : il s'agit d'optimiser la fréquentation et les profits. La maison fera-t-elle crédit ? A-t-on pensé à la ceinture de barbelés ? Ben oui, quoi : il n'y a pas d'attitude plus anti-commerciale et indésirable qu'un pillage par des bandes de nécessiteux affamés et manquant de tout.

ZAATARI CAMP REFUGIES.jpg

ZAATARI

Il est à craindre qu'on demande prochainement aux 80.000 réfugiés de patienter quelque temps au camp de Zaatari (deuxième plus grand au monde, un aperçu ci-dessus, loin derrière Dadaab au Kenya, qui en compterait 500.000 ; ne parlons pas de Khor al Waral au Soudan, de ... et de ... sans oublier les camps palestiniens : douze rien qu'au Liban, ouverts entre 1948 et 1963, plus de 225.000 "habitants", 1.120.000 si l'on totalise tous les Palestiniens "réfugiés"), avant de retourner chez eux en Syrie. Habitants provisoires de lieux eux-mêmes provisoires, il n'est pas impossible qu'il leur faille un jour considérer comme logements définitifs les containers et les tentes dont la "communauté internationale" leur avait confié la garde pour un temps. On se console comme on peut, en se disant que containers et tentes, c'est tout de même mieux que les cartons de nos SDF et de nos clochards (au fait, qui a dit qu'il ne voulait plus personne à la rue avant la fin de l'année ?).

On est à peu près sûrs en effet que toutes les solutions improvisées dans l'urgence vont durer, et sans doute s'éterniser car, parmi tous les projets que les humains échafaudent pour donner une forme à leur avenir, l'hypothèse d'un chaos – global cette fois – est de moins en moins farfelue aux yeux des gens sérieux. Le camp de réfugiés deviendra peut-être la norme, vu que l'état d'urgence sera l'état normal de l'humanité. Eugène Pottier aurait dit : « L'état d'urgen-en-en-en-ce sera le genre humain » (en rythme, s'il vous plaît). S'il avait vécu aujourd'hui, c'est ça qu'il écrirait. Cela s'appellerait "L'Internationale". Pas sûr que ça fasse un hymne prolétarien.

Face à l'inflation promise des réfugiés – marché à l'expansion potentielle indéfinie – les Etats n'ont plus l'efficacité d'intervention voulue, ni les moyens nécessaires. Soyons juste : les Etats n'ont plus envie non plus. Heureusement, l'entreprise privée est là, fière et brave, pour relever le gant du défi. Fière et brave, mais pas désintéressée. Car l'instabilité mondiale grandissante ouvre d'excellentes perspectives et laisse entrevoir des opportunités inespérées pour qui a un goût très sain, une énergie gonflée à bloc et une intacte volonté d'agir et d'entreprendre. Produit final, fatal et délocalisé de l'instabilité géo-écolo-économo-politique, le réfugié est parti pour former ailleurs que chez lui l'ossature d'un futur système solide, durable et lucratif. 

Dans le mouvement mondial de la Grande Privatisation de Tout (GPT), les Etats se frottent les mains : ça tombe à pic avec la cure d'amaigrissement qu'ils ont commencée dans les années 1970, quand Reagan et Thatcher ont, d'un commun accord, décidé de « réveiller et libérer les énergies et les forces vives en sommeil dans la société » (en français : lâcher la bride aux appétits voraces et à l'enrichissement illimité des riches, on voit ce qu'il en est quarante ans après). Les Etats n'ont qu'une envie : se retirer du jeu, et laisser toute l'initiative aux forces du marché. Inutile de dire que les dites "forces" sont aux anges : le marché de l'humanitaire pèserait déjà aux environs de 20 milliards d'euros. De quoi boucher quelques dents creuses et de voir venir l'avenir avec le sourire.

Avis aux urbanistes visionnaires, genre Oscar Niemeyer (Brasilia) ou Le Corbusier (Chandigarh) : sachant que "le camp de réfugiés sera le genre urbain" (voir plus haut), lequel d'entre vous sera assez inventif et audacieux pour concevoir au meilleur coût le plus beau design pour la future "cité radieuse du Réfugié" appelée à en accueillir le prochain milliard dans les conditions définies par le cahier des charges de l'ONU (contenance, esthétique, confort, déontologie, lumière, commodités diverses, éthique, qualité des matériaux, etc. : ne jamais oublier dans un dossier de faire valoir l'argument de l'éthique, et encore mieux "l'éthique des droits de l'homme") ?

L'altruisme n'a pas de limites. Le monde a le cœur sur la main, à condition que ça rapporte. 

Voilà ce que je dis, moi.

Le contenu et le ton de ce billet, ouvert sur un avenir radieux en même temps que sur un monde meilleur quoique futur, ont été suscités par le compte rendu ("Réfugiés, un marché à part entière") paru dans Le Monde (16 décembre 2017), signé Mathieu Aït Lachkar, du documentaire diffusé dimanche 17 en soirée sur France 5 : "Réfugiés, un marché sous influence", de Nicolas Autheman et Delphine Prunault. 

dimanche, 01 avril 2018

PAPA, C'EST QUAND L'EFFONDREMENT ? 2/2

14 décembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (11).

2/2 

L’effondrement dont on parle ici n’est certainement pas un événement. Car si tel était le cas, croyez-moi, il y a longtemps que les caméras et les bonimenteurs de BFMTV seraient sur place pour le remplissage habituel. Pas un événement, donc, mais un processus. Cela n’intéresse pas les chaînes d’info en continu : il ne se passe rien, vous comprenez. Analogie : pour donner une idée du temps au temps des dinosaures, un compositeur italien avait écrit (ça remonte à loin : fin des années 1970 ?) une œuvre pour piano sur un thème paléontologique. Un cluster chaque fois que l'iguanodon faisait un pas. Pas très rapide, l'animal : un gros « cluster » par minute, grand maximum, peut-être moins. L'auteur devait se dire qu'il rendait ainsi l'impression de la durée à l'époque de l'élasmosaure, du platéosaure et du ptéranodon. Sans m'attarder sur le côté proprement musical de la chose, je n’imagine pas les BFMTV proposer un de ces directs dont ils ont le secret, pour faire le poireau jusqu'à l'extinction des dinosaures.

Cet effondrement-là passe quasiment inaperçu. Il s'est inscrit comme tel dans le paysage. C'est juste un créneau qu'on laisse à quelques journalistes spécialisés, à placer le dimanche soir, entre les bouchons du weekend, les nouvelles imperturbables venues de Syrie ou d'Israël et les dernières mauvaises blagues inventées par Macron pour embêter ce qui reste des vieux partis ou pour mettre au pas de charge l'économie française au diapason de l'ultralibéralisme triomphant. C'est un effondrement inodore, incolore et sans saveur particulière. C'est un effondrement qui est entré dans les habitudes. Et surtout, c'est un effondrement d'une lenteur telle qu'il se maintient hors de portée de nos moyens physiologiques de la perception. Bref, c'est un effondrement normal : pas de quoi s'affoler dans l'immédiat. (paragraphe ajouté le 1 avril, au fait : joyeuses Pâques !).

Processus donc. Comme il y a des chances que son accomplissement laissera aux vivants actuels le temps d’achever leur existence sans trop de casse (et même à leurs successeurs, on espère), la notion de changement irrémédiable est donc bien partie pour échapper encore longtemps à l’attention du plus grand nombre. Laissons les masses vivre en paix, doit-on se dire en haut lieu, il sera alors bien temps de les prévenir quand le monde aura le nez dessus. Quand ce sera urgent, c’est-à-dire quand il sera trop tard (dans ce qu’on appelle l’ « urgence humanitaire », la catastrophe a toujours déjà commencé).

Notre aveuglement se nourrit d’un ingrédient dont personne n’ose imaginer l’absence dans le déroulement de son quotidien : le temps présent. Je veux dire l’instantané, immédiat ou imminent, forcément décisif pour garder l’impression de ne pas être largué par l’époque, qui ne cesse d’améliorer ses performances et d’aller plus vite. Il faut rester dans le flux, à l'affût, s'adapter, accélérer.

Nous comprenons d’autant moins ce qui se passe dans notre temps long qui s’appelle l’avenir, que notre nez renifle au ras du sol des « réseaux sociaux » la moindre fragrance de l’éphémère qui passe, en s’imaginant tenir là la clé de ce « temps présent » qui nous échappe. Les réseaux sociaux sont, à cet égard, la énième tentative désespérée de l’homme d’arrêter l’écoulement du temps (et d'abolir l'espace), en ce qu'ils illustrent la capacité des individus à s'accrocher à la moindre ramille d'immédiat émergée de leur écran, comme à une bouée de sauvetage.

A l’affût de la moindre vaguelette en surface, nous nous jetons sur la plus petite proie qui passe, nous l’avalons vite, la digérons vite et l’excrétons de même : notre esprit fonctionne comme un vulgaire intestin. Comme une machine à transformer l'oral en fécal : prescience de l'artiste Wim Delvoye avec sa "Cloaca", alias machine à fabriquer de la merde ? En tout cas, une extrapolation très répugnante mais d'une absolue justesse pour désigner notre monde, à partir des principes qui servent de base à la civilisation de la production-consommation.

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Pourtant (et paradoxalement), ça a beau être un tuyau, ce temps présent-là est fermé aux deux bouts, isolé, hermétique : en aval l’aveuglement sur ce qui nous attend la semaine prochaine, en amont l’oubli de ce que nous avons avalé hier. La fascination pour le présent est une prison de l’esprit. Comment, dans ces conditions, être en mesure de percevoir les signes d'un quelconque effondrement ? L’homme est pourtant le seul animal qui sait qu’il doit mourir un jour. Mais notre monde éminemment technologique nous serine : « J'ai tous les moyens efficaces de te faire oublier le tragique de ton destin » (traduction : de boucher les deux bouts de ton tuyau). Un certain Blaise P. avait déjà bien analysé la chose il y a quelques siècles (la phrase finit par : « ... un homme plein de misères »).

L’humanité tombe donc de plus en plus bas, mais avec une telle lenteur que la plupart des gens pensent qu’ils ont la vie devant eux pour se mettre à penser à des choses pas drôles. C’est vrai, quoi, il faut rester optimiste ! Tant qu'ya d'la vie ya d'l'espoir ! Ya d'la joie ! L'espoir fait vivre ! Mais ce qui est vrai aussi, c'est que la vie quotidienne continue, les ennuis gastriques ou conjugaux sont les mêmes, les prix continuent à augmenter, les enfants continuent à ne pas ranger leur chambre, il faut continuer à se chauffer quand il fait froid, le bruit des voisins continue à nous agacer, les magasins continuent à nous fournir les denrées nécessaires à la restauration de nos forces, les camions-poubelles continuent à passer le matin sous nos fenêtres. Tant que les structures de notre quotidien ne connaissent pas de panne, il n’y a pas de quoi s’affoler : la vie continue.

Si ça s’arrête (les trains, l’électricité, les camionneurs, … jusqu’au beurre des supermarchés, récemment), nous pestons jusqu’à ce que la circulation ou le courant soient rétablis. Car nous sommes tous concrètement pénétrés de l’idée de continuité de la « vie normale » et des indispensables répétitions quotidiennes : nous sommes façonnés de routine et nous disons, comme Letizia Bonaparte : « Pourvu que ça dure ». La durée est notre chair. Son défaut est qu'elle coule d'un robinet de couleur terne.

Pourtant, curieusement, nous ne saurions nous passer de tous les « événementiels » ("c'est là qu'ça s'passe, mec") qui ne nous sont absolument de rien, et qui semblent couler d'un robinet en or massif (mais c'est du toc, tout juste du plaqué-or) pour nous abreuver de cette liqueur spécialement produite pour ravir le gosier de notre imaginaire. Impression de participer, impression de vivre, je veux bien, mais en réalité ? Notre moteur est hybride : d'un côté la carburation par la nécessité si prosaïque, de l'autre par la séduction marchande. De quel côté, la "vraie vie" ?

C’est même un paradoxe : autant nos esprits sont en éveil quand il s’agit d’un fait, d’une parole, d’une séquence qui ne nous concernent en aucune manière, et qui sont indifférents à la banalité de toutes les banalités qui meublent notre quotidien, autant nos corps sont résignés à l’accomplissement journalier, discipliné, machinal des mêmes gestes et des mêmes actes, jusqu'aux plus triviaux, routine indifférente à cette écume des jours qui ne nous parvient que par le canal de voix et de visages que nous ne connaissons pas et qui n’ont aucune envie de nous connaître, parce qu'à leurs yeux, nous ne valons pas tripette.

Qui osera réhabiliter la dignité de l'ordinaire et du banal ? Qui dira enfin du bien de la masse des gens qui « font comme tout le monde » ? Qui inspirera aux gens ordinaires de l'amour pour la "nullité" de leur existence ? Quel auteur en vue aura le courage de ne pas écrire un best-seller, voire un chef d'œuvre, sur ceux que les journalistes nomment, très sympathiquement, « les anonymes » ?

D’un côté les bulles de savon qui nous fascinent mais nous feront crever, de l’autre l’épaisse et lourde glèbe routinière de ce qui fait la substance la plus permanente de notre vie concrète : il y a en nous, séparés par une cloison, deux mondes qui ne sont pas faits pour se rencontrer, indifférents l’un à l’autre. Si j'étais "psy" (ce qu'à Dieu ne plaise !), je proposerais de nommer ce symptôme "schizophrénie institutionnelle", ou quelque chose comme ça, au motif que cette double perception nous est inculquée par le mode de vie partagé par toute une civilisation. Qu'est-ce qui nous est le plus cher ? La sollicitation extérieure de nos multiples écrans, instantanée mais inconsistante, à laquelle nous nous prêtons de moment en moment ? Ou bien notre propre permanence, bien corporelle celle-là, à laquelle il nous est physiquement impossible d'échapper ? Les deux, mon général. Pour notre malheur.

On aurait intérêt à se demander qui a intérêt à figer notre attention dans les paillettes scintillantes de l’instantané. Qui cherche à nous imprégner de dégoût et de lassitude pour ce qui fabrique la banalité de notre continuité réelle ? A inspirer nos engouements pour des vies prodigieuses autres que la nôtre, convaincus que nous sommes de sa nullité ?

Tout ça pour dire que, si nous préférons les « trépidations de la machine » à la lenteur du déroulement de nos jours, cela ne nous prédispose pas à anticiper des menaces qui, elles, sont apportées par le temps long. Notre expérience intime du temps, hors de toute sollicitation extérieure, est certes la durée, pourtant nous préférons l'éclair de l'orage au long coucher de soleil sur l'horizon. La force des habitudes, la force d’inertie nous sont des poids sur les épaules. Durée, répétition, routine, transmission nous sont des épouvantails. Nous voulons que « ça bouge ». Nous n'avons même aucun regard pour ce qui nous semble ne pas bouger. Alors un effondrement, et au ralenti qui plus est, pensez ... Je vais vous dire : l'effondrement, nous l'attendons finalement avec indifférence. Nous n'en pensons rien, tout simplement parce qu'il n'a pas d'existence (tant qu'il ne s'est pas produit). Qui vivra verra (rien de plus rassurant que des proverbes).

Alors je repose ma question : « Papa, c’est quand, l’effondrement ? ». Personne ne sait au juste. Guy McPherson nous donne dix ans. Rien ni personne n’est en mesure de nous persuader de cette échéance. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que tous les facteurs de notre développement planétaire conduisent le vivant au précipice. Que le mécanisme fatal est à l'œuvre. Ce que des hallucinés persistent à nommer le « Progrès » est devenu une entreprise de destruction massive. Tout nous l'indique. Les signaux se sont déjà allumés sur les écrans de contrôle : ouragans d’une force inconnue jusque-là, migrations massives dues aux guerres ou à la misère, fonte des glaces polaires, le blog de Paul Jorion, etc., etc., etc.

Tout le monde a, plus ou moins confusément, conscience que nos façons de faire sont mortifères. Alors quand ? « Tais-toi, fiston, et nage. En attendant, souris : nous sommes filmés ».

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 30 mars 2018

À QUOI ÇA SERT ?

30 novembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (9).

Pour faire suite aux billets du 16 au 19 novembre (L'humanité en prière). 

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Eh bien voilà, les scientifiques s'étaient mis à 15.000, pourtant. Qu'en est-il de ce cri de détresse, quinze jours après ? Qu'est-ce que ça a changé dans la vie quotidienne des gens ? Qu'est-ce que ça a fait bouger dans la tectonique des habitudes installées ?

RIEN !

La vie a repris le dessus. La voix désagréable a été couverte par le flux des nouvelles. On a entendu les journalistes réduire la visite du pape en Birmanie à la simple omission d'un mot tabou dans ses discours (« François, une fois au Bangla Desh, va-t-il enfin prononcer le mot "rohingya" ? », proféré ce matin même ; sous-entendu : "Allez François, vas-y, montre que t'en as, te dégonfle pas, fais-leur la leçon, à ces salauds ! On s'en fout de la réalité concrète du terrain et des problématiques propres à la Birmanie ! Y a qu'un truc qui nous intéresse, nous : les incantations aux droits de l'homme !" Pauvres journalistes, quand même, pauvres caricatures ! Que savons-nous de la Birmanie (Burma en anglais, Myanmar en birman) ? Aung Sang Suu Kyi, ancienne héroïne Nobel de la paix, les militaires sanguinaires, les moines bouddhistes fanatiques et les Rohingyas. C'est un peu court, je trouve, pour un pays de cinquante millions d'habitants et de 135 groupes ethniques).

On a entendu d'autres journalistes, certainement très versés en matière de balistique aéronautique, souligner que l'altitude de 4.500 km. atteinte par la fusée intercontinentale nord-coréenne (trajectoire "en cloche") permettait en théorie à Kim Jong Un d'atteindre, avec une distance de 13.000 km., n'importe quel point du territoire américain (trajectoire "tendue"). On a entendu Emmanuel Macron s'indigner, face à des étudiants burkinabés "anti-impérialistes", que ceux-ci formulent à son adresse une demande relevant en réalité du président du Burkina Faso (« Mais je ne suis pas président du Burkina Faso ! », s'est-il enflammé, avec pas mal de pertinence selon moi).

Ou, si vous préférez, au choix et dans le désordre : des marchés aux esclaves en Libye ; l'offensive de la robotisation dans le secteur bancaire ; les dépassements d'honoraires des médecins ; le criminel croate qui se suicide en plein tribunal, au moyen d'une fiole de poison dont tout le monde se demande comment il se l'est procurée ;

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l'impossible procès de l'amiante ; la facture du Brexit ; la toute nouvelle Golf Polo (qui "se rebiffe", selon Le Monde !!! Attention les yeux !). Notre attention ne sait plus où donner du cerveau. Et que fait-il, le pauvre encéphale, de cette masse de données que lui déverse notre curiosité pour tout ce qui se passe ailleurs que chez nous, ailleurs qu'autour de nous et ailleurs qu'en nous ? Grave question posée aux individus ordinaires, dans le fond, que celle du "droit à l'information".

Chacun devrait se poser cette question : « Que fait en moi tout ce monde qui n'est pas moi et, surtout, sur lequel je ne peux rien ? ». Chacun devrait se demander ce que ça lui apporte, de savoir sans cesse ce qui arrive, d'un bout à l'autre de la planète, à des gens qu'il ne connaîtra sans doute jamais, en des lieux où il ne mettra sans doute jamais les pieds. Chacun devrait se demander pourquoi tous les médias le bombardent jusqu'à plus faim de tout ce qui n'est pas lui, ses soucis, ses problèmes et, éventuellement, à qui profitent ces entreprises d'oblitération de sa propre existence.

A cause des informations, chacun devrait normalement s'inquiéter de la présence en lui de toutes sortes de parasites exogènes, exotiques, voire exoplanétaires, qu'on lui a jour après jour injectés à haute dose, et qui lui pompent jour après jour de l'attention, quand ce n'est pas de l'empathie (ce mot si chargé de positivité vertueuse aujourd'hui), pour le gaver de quoi, en retour, de ce monde qui défile sous ses yeux fascinés comme sur un écran de cinéma ?

Des substances nourrissantes, vraiment ? Ne serait-ce pas plutôt, tour à tour ou tout ensemble, de l'émotion, de la compassion, de la culpabilité et je ne sais quels autres chocs à l'estomac (car ce n'est pas au cerveau mais aux tripes, en réalité, que s'adressent ces pseudo-informations que sont les images : rappelons-nous toujours "le poids des mots, le choc des photos") ? En tout cas, certainement un puissant véhicule de propagande (ou, si vous préférez, de manipulation et de formatage des esprits), qui sert à occuper de plus en plus de "temps disponible" dans nos cerveaux.

Oui : que faisons-nous de l'information, ce produit industriel et commercial qui ne nous concerne concrètement et directement que par exception quasi-miraculeuse ? Que change à notre vie d'être au courant de la tragédie des Rohingyas ? Je dirais : rien, sinon un poids supplémentaire à porter, à la rigueur, quand nous rentrons des courses le cabas plein. Mieux : que pouvons-nous en faire ? Comment agir, à partir de ce qu'elle nous apprend, l'information, en dehors du chèque que, bouleversés par les images d'une catastrophe et impatients de manifester notre solidarité, nous envoyons en toute confiance à destination des victimes via des organismes de collecte même pas toujours bien identifiés ?

A quoi nous sert-elle, cette information, tout bien considéré ? Est-ce que chacun d'entre nous n'en sait pas finalement trop par rapport à ce que ses faibles moyens d'agir lui offrent ? A quoi sert de savoir quand on n'a pas de pouvoir sur les choses et les êtres dont nous apprenons les malheurs ? Est-ce que ça suffit à "faire société" ? Est-ce que, vraiment, ça fait du "vivre ensemble" ? Non ! On sait que tout ce qui tape à l'estomac a la durée du feu de paille. On ne peut en faire une structure pérenne. L'émotion ne saurait en aucun cas recoller à elle seule les morceaux de ce qui fut la nation française.  Le 11 janvier 2015, ce puissant cortège du refus qui a martelé en silence les chemins de la France, mais qui n'a pas eu de lendemain, pèse trop sur nos mémoires pour qu'il nous reste une illusion là-dessus.

Le coup de l'émotion, on supporte un moment, on ne peut pas en faire un état de conscience durable, sous peine de devenir fou. Ou mort. Il faut que le cerveau serve à quelque chose de temps en temps, et reprenne ses droits et le volant. A quel nombre infime d'individus capables d'intervenir sur le réel l'information est-elle réellement utile ? Oui, l'information est vraiment, en même temps qu'un spectacle fait pour agglutiner de l'audimat, un savoir inutile au plus grand nombre. Je dirais même nuisible, dans la mesure où, encombré de cet inutile, chacun n'a plus assez de temps ou de disponibilité intérieure pour se consacrer à son essentiel à lui. Est-ce parce qu'on a appris comment vivent les autres, ailleurs, et quelles sont leurs souffrances, que l'on se sent davantage membre de l'espèce humaine ?

Un savoir inutile. On en a un bel exemple avec le manifeste des scientifiques : un gros pavé a donc été jeté dans l'étang de l'actualité. Malheureusement, l'actualité n'est pas un étang : c'est un océan. Le plouf provoqué par la une du Monde, c'est vrai, a fait du bruit pendant deux, trois jours. Et puis quoi ? Les gens vaquent à leur quotidien de travail, de loisir, de routine. Les décideurs vaquent à leur quotidien de travail, de loisir, de routine. Les industriels vaquent à leur quotidien de ... Bref, la planète vaque à ses occupations et s'entête à "regarder ailleurs" pendant que "la maison brûle" (grand geste oratoire de Jacques Chirac à je ne sais plus quelle conférence, autrefois).

L'eau gigantesque du flux des nouvelles s'est refermée sur le pavé (un grain de sable infinitésimal, en fin de compte). Quinze jours après, rien n'a changé ! Le pavé du cri d'alarme a fait un plouf de cri d'alarme ordinaire dans l'océan des informations ordinaires. Son trou dans l'eau s'est refermé (on est loin des "copains d'abord" : « Oui mais jamais au grand jamais Son trou dans l'eau ne se refermait »). On est passé de l'ère du : « Personne n'est irremplaçable » à celle du : « Tout est jetable ».

Qu'est-ce qu'on parie, que le thème – bien ancré dans le "sociétal", lui – des « violences faites aux femmes », des « agressions sexuelles », du « sexisme ordinaire », de « l'égalité hommes-femmes », de « l'écriture inclusive », du « machisme » en général et de la « domination masculine » en particulier, tout ça s'apprête à avoir un impact incomparable sur les consciences, sur les comportements et sur l'état de progressive congélation morale de la société ? Ça, c'est un vrai sujet. Ah que voilà du concernant bien épais ! Le creusement des inégalités entre riches et pauvres ? L'accaparement des ressources ? La dégradation des écosystèmes et de la planète ? Voyons, soyons sérieux : il y a plus important ! On en recausera quand il sera temps ... On a des priorités absolues, que diable : nos valeurs, l'égalité, la non-discrimination, la solidarité, la tolérance, tout ça ...

Pour le moment, il n'y a rien de plus important dans le monde que la « condition de la femme » et tous les péchés masculins qui vont avec, on vous dit. En regardant venir notre fin, entretuons-nous tous, membres de l'espèce humaine. Ce sera plus amusant, plus sportif et, somme toute, plus facile. Et sous le regard satisfait des vrais puissants, des vrais nantis, trop heureux que les masses de gens dont ils fabriquent les conditions de vie oublient que ce sont eux les vrais responsables et passent leur temps à se taper sur la figure entre eux. Inquiets d'une éventuelle « convergence des luttes », ils disent à tous les groupuscules : "Battez-vous, tuez-vous, les enfants, mais ne me faites pas mal". Ce qui cloche, dans la "convergence des luttes", et qui rassure les vrais nantis, c'est le pluriel au mot "luttes". Ça marche toujours aussi bien, "diviser pour régner".

Eh oui, c'est très utile, les luttes parcellaires, pour que la lutte essentielle, la lutte globale disparaisse du paysage et des préoccupations. Après ça, demandons-nous qui a tué la gauche, aujourd'hui morte et enterrée, à la grande satisfaction d'une myriade de petites gauches minables, fermées, égoïstes, communautaristes et concurrentes entre elles. Chacune, dans son pré carré, a confisqué pour son compte l'étendard « progressiste » au bénéfice de ses revendications particulières, et se moque éperdument de contribuer à "éparpiller façon puzzle" le problème central en une multitude de « causes à défendre » qui sont en fait périphériques. 

Personne n'est assez fort, ensuite, pour reconstituer en un tout cohérent la photo ainsi découpée : toutes ces gauches rabougries sont composées de petits boutiquiers qui défendent âprement le stock des denrées spécifiques qui sont leur moyen d'existence. Toutes ces gauches rabougries se soucient de LA gauche comme de leur première chaussette. C'est ce gros mensonge qui l'a tuée, la gauche. Et au passage, ces petits spectacles occupent assez de place à l'avant-scène pour occulter habilement l'accaparement des richesses (huit individus possèdent autant que la moitié de l'humanité) et le massacre de la planète, questions autrement vastes.

Voilà : ce cri d'alarme au sujet de l'environnement et de la Nature n'en était pas un, c'était une information. Parfaitement : juste une information. A peine une virgule dans la masse des données qui circulent. Et comme telle, il a eu le destin des trombes d'informations que régurgite, non : que vomit en permanence l'énorme, l'insatiable, l'inépuisable bouche médiatique (ou je ne sais quel autre orifice) : la poubelle, le soir même. « Ô vraiment, marâtre Nature, Puisqu'une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! ». Le destin de l'information ne diffère guère, dans le fond, de la rose de Ronsard.

Subjugués par le spectacle plein de fraîcheur de l'événement qui surgit à jet continu sur les écrans de nos instants, à peine le nouveau tout neuf est-il apparu que, hormis quelques feuilletons soigneusement entretenus quelque temps par les journalistes (le pape et les Rohingyas en est un), il devient aussitôt le précédent fané du suivant tout neuf qui le pousse vers la déchetterie de nos mémoires. Un savoir éphémère, un savoir avorté (aussitôt mort que formulé), un savoir inutile parce que nous ne pouvons rien en faire. Voilà le destin de tout le savoir élaboré par 15.000 scientifiques, une fois « promu » au rang d' "information". Après ça, demandons-nous gravement à quelle hiérarchie de valeurs obéit notre époque.

De profundis, le cri d'alarme. A dans pas longtemps ! Oh, je ne me fais pas de souci, on se reverra bientôt. Combien seront-ils, la fois prochaine, les scientifiques, à signer la piqûre de rappel, je veux dire l'appel d'urgence numéro n ? Parions : 30.000 selon les organisateurs, 3.000 selon la police. Décidément, j'en reste à cette conviction : tout le monde est au courant de ce qui pend au nez de l'humanité. Tout le monde sait et tout le monde voit. Mais ça ne sert à rien. Tiens, la preuve que ça ne sert à rien, c'est par exemple que le glyphosate vient de repartir bon pied bon œil pour cinq ans en Europe, du fait d'un vote positif de l'Allemagne : il paraît que le ministre (CDU-CSU) avait un compte à régler avec la ministre de l'écologie (Les Verts), et qu'il s'est senti les mains libres du fait des bisbilles dans la formation du nouveau gouvernement Merkel.

Savoir ce qui nous attend tous dans pas très longtemps ne sert à rien ! Allons-y ! Après nous, le déluge ! 

Voilà ce que je dis, moi.

Note : je me permets de signaler aux éventuels lecteurs de cette "suite" que, par rapport à son premier état (en deux billets de dimensions modestes), elle a pris un sacré embonpoint, comme on le voit à présent, du fait des multiples rameaux adventices que j'y ai greffés, au fur et à mesure que j'ai perçu l'occasion de leur développement. Quand on relit, voyant ce qui "manque", on tente de compléter. J'espère que l'intelligibilité de l'ensemble « n'en souffre pas avec trop de rigueur » (Tonton Georges, La Tondue).  

jeudi, 08 février 2018

C'EST QUOI, CORSE ?

Propos d'un Français ordinaire et endurci.

C'est quoi, au fait, Corse ?

Moi, je suis Lyonnais, je suis né là, j'y habite, et je dis et alors ? So what ? Je n'en fais pas un "brocciu" (nous, on a la "cervelle de canut").

Ils revendiquent leur minuscule identité ? Grand bien leur fasse. Ils viennent emmerder le monde à cheval sur cette identité pour en découdre ? Alors là, rien ne va plus.

300.000 insulaires arrivent à empuantir (de temps en temps) l'air médiatique que respirent 66.000.000 de Français ? Mais c'est quoi, cette blague ? J'attends qu'on m'explique pourquoi une nation de cette dimension devrait se laisser impressionner par une république de Lilliput. Et de structure clanique, qui plus est.

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Uderzo.

Ils voudraient qu'il y ait deux langues officielles en France, le français et le corse ? Mais c'est quoi cette blague ? J'espère qu'on me demandera mon avis : le corse langue officielle de la France ? Et puis quoi, encore ? Elle aurait bonne mine, la France, dans le "concert des nations", à l'ONU, où les propos de l'ambassadeur seraient traduits du français et du corse.

D'abord, le corse est-il une langue ? Même pas. Allez, une variante, une cousine de l'italien, un dialecte groupusculaire, je veux bien, soyons bon prince. Mais une langue ? Le breton, le basque, à la rigueur, mais le corse ? C'est quoi, cette blague ?  Talamoni, vieux compagnon de route des cagoulés, président de la nouvelle entité, fait des discours en corse ? Très bien, mais qu'il ne compte pas sur moi pour faire le moindre effort pour l'écouter, l'entendre ou le comprendre. Il veut nous quitter ? Je dis : bon vent !

A comparer, il y a quelque temps, avec la conférence de presse du chef de la police de Barcelone, qui s'est levé de son siège et a quitté les lieux quand un journaliste lui a demandé pourquoi il s'était exprimé exclusivement en catalan. Je m'étais dit : pour qui se prend-il, le flic en chef ?

Là où je suis prêt à reconnaître un mérite exceptionnel aux Corses, c'est à propos de la préservation de leur littoral. Alors là, je dis : "Bravo!", et depuis bien avant la création du "Conservatoire du Littoral". Une mention aussi pour I Muvrini, A Filetta et autres formidables chœurs (Marcel Pérès et son Ensemble Organum, par exemple) qui donnent une belle idée de ce que sont les polyphonies corses.  Mais pour le reste (nationalisme, indépendantisme, régionalisme et tutti quanti), je dis : vas-y Macron ! 

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Pétillon. L'Enquête corse (Albin Michel, 2000), excellente caricature.

Demande-leur, à Talamoni, à Siméoni et à leurs copains, s'ils en veulent, de la carte d'identité de la République Française. Êtes-vous français, monsieur Talamoni ? Ils n'en veulent pas ? Allez, donne-leur l'indépendance qu'ils réclament à cor, à cris et à pétards. Mais à charge exclusive pour eux de constituer une armée, une police, une administration, une monnaie, et tout ce qui fait les nations indépendantes : le beurre et l'argent du beurre, c'est fini ! Ils se disent Français quand il s'agit de "solidarité nationale", mais Corses pour tout le reste. Ah ça oui, quand il s'agit de faire rentrer l'argent du beurre, ils sont là.

Pour le moment, je vois des petits caïds de quartier qui veulent exploiter à leur profit le territoire d'un parrain puissant, qui a trop longtemps laissé les gamins jouer avec des grenades et des kalachnikovs dans le bac à sable, en faisant semblant de les considérer comme des égaux. 

Si le gouvernement de la République en finit avec la lâcheté, la duplicité (je pense à "l'étage des Corses", à la mairie de Paris, succursale d'un succédané de mafia, du temps d'un ancien maire devenu président et d'un ancien Corse devenu ministre de l'Intérieur) ou le laisser-faire, je dis au président : Bravo !

Et puis, Macron, si ça fait du chambard au-delà du raisonnable, fais donc un petit référendum sur tout le territoire français. Je parierais volontiers qu'une majorité de Français serait d'accord pour larguer la Corse, les Corses, leurs humeurs et leurs bombes, pour ne plus entendre parler de ça.

Bye-bye, va petit mousse, où le vent te pousse.


Un bon moyen de mettre à tous ces fanatiques le nez dans leur bouse.

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Après-coup.

Il semblerait que le président affiche une "fermeté républicaine". Talamoni (le vieil ami des bandes armées qui donnaient, devant des journalistes convoqués, des conférences de presse nocturnes en plein maquis) est très déçu et amer. Il est "consterné". Il a boycotté le banquet républicain. Il annonce des problèmes et, qui sait, peut-être des morts. Des menaces, maintenant, monsieur Talamoni ? Et ce sont les Corses qui ont élu ce type-là président ? Honte à eux !

vendredi, 19 janvier 2018

"FAKE NEWS", "CANARDS" ET AUTRES INSECTES NUISIBLES

On n'entend plus parler dans les médias que de "fake news". Plus personne n'ignore le sens de l'expression, popularisée depuis peu par (et autour de) l'extravagant et dangereux Docteur Clown qui gouverne les Etats-Unis et effraie le monde. Même le président de la République française s'y est mis : il veut faire une loi pour interdire et rendre impossible la propagation des "fake news". Est-ce bien sérieux, monsieur Macron ?

Ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas la notion de "fausse nouvelle" : l'erreur ou le mensonge ne colonise que les esprits qui y sont préparés. Les fausses nouvelles, franchement, je m'en fous : c'est vieux comme le monde. Comme disaient les Grecs : quand l'élève est prêt, le maître peut venir. Si le maître (en l'occurrence "fesse-de-bouc", "touiteur", "hache-tag", etc.) est un escroc et l'élève un gobe-mouches, à qui la faute ? On ne peut pas empêcher les gens de croire. Je plaisante à peine. C'est dire la progression du mal. Mon propos n'est pas là, il concerne l'expression anglaise proprement dite.

Car j'avoue mon ébahissement : que reste-t-il de l'âme française ? Comment expliquer l'extrême mollesse, et même l'inconsistance de la résistance qu'elle présente face à l'irruption de l'occupant ? Je sais, on va me dire que je me fâche à retardement et que le problème ne date pas d'hier. Oui, il y avait moins de 1% de Résistants en 40-43 (mais 98% en 44). Oui, le Parlez-vous franglais ? de René Etiemble date de 1964 : un demi-siècle ! La France ? Combien de Résistants ? Combien de gobe-mouches ?

Je réponds que l'Académie française, nouvelle bâtisseuse de "Murs de l'Atlantique" pour protéger notre langue, s'est jetée à de nombreuses reprises dans la bataille de la défense côtière du vocabulaire français : en vain, le débarquement s'est poursuivi, par barges entières. A cause des "mauvais patriotes", accusaient les gardiens du temple. Apparemment, le nombre de "mauvais patriotes" n'a cessé de croître, au rythme de l'américanisation des esprits, profitant de ce que l'ennemi était déjà infiltré, implanté, disséminé.

Eddy Mitchell, promoteur de La Dernière séance, mémorable émission TV, ne jurait déjà que par westerns, S.F. et polars classiques américains : les ravages du "soft power" ! Sur 67 millions de Français au dernier recensement, combien y a-t-il d'Américains ? Jean-Marie Colombani le révélait le 13 septembre 2001 : « Nous sommes tous Américains ».

L'Amérique nous a libérés pour mieux prendre la place de l'occupant : pousse-toi d'là que j'm'y mette. Pacifique, souriant et plein de chewing-gum, d'images, de chocolat et de rock'n roll. Et chrétien par-dessus tout ça. Mais attention : protestant et puritain. Protestantisme, comme dit Philippe Muray : la foi catholique devenue folle (c'est dans Ultima necat I ou II). Et il y a encore des volontaires en France pour devenir de bons Américains. La preuve avec Macron. Tout ça ne me semble pas très catholique.

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L'envahisseur a donc continué à envahir et, en dehors de quelques réussites dans la transposition dans notre langue des produits d'importation ("ordinateur" fait figure de trophée de victoire, îlot perdu au milieu d'un océan), après les anglicismes, c'est l'armée des américanismes qui a foulé de ses bottes le beau territoire de notre langue. Qui peut, et surtout qui veut l'arrêter ? Qui arrêtera les "fake news" ? J'en conclus que le mouvement est irréversible, tout comme, en d'autres temps, les Romains ont toléré, sur le territoire fraîchement conquis des Gaules, la survivance de mots et expressions idiomatiques propres aux peuplades arriérées qui y vivaient et aux langues qu'on y parlait (celtiques ou autres).

Dans un avenir que j'espère cependant lointain, le français connaîtra le même sort que le latin dans la France moderne et un jour, dans une France encore plus moderne, d'éventuels élèves d'éventuelles écoles du futur ouvriront des Gaffiot d'un nouveau genre pour étudier cette langue morte. Des professeurs de « langue et littérature ancienne » soutiendront doctement et avec véhémence qu'il n'est pas totalement inutile de connaître le français, même s'il n'est pas indispensable de le parler, en même temps que la littérature à laquelle il a donné naissance, face à des adversaires adeptes d'une modernité du futur qui, affirmant qu'il faut s'adapter, n'y verront que les vestiges vermoulus d'un passé dont on n'aura plus rien à faire.

"Fake news", donc, entend-on partout dans cette France moderne, où les esprits sont imprégnés d'Amérique, vassaux volontaires et dociles, autochtones déracinés dans leur propre maison. Comment voudrait-on que la silhouette et le portrait de la "personnalité française" n'aient pas été, sinon emportés par le flot, du moins amoindris et rognés aux entournures ? Il se trouve pourtant que ce qui survit de la langue française recèle depuis bientôt deux siècles un vocable très précis pour désigner toutes les fausses nouvelles qui paraissaient dans les journaux les moins sérieux. On (Nerval lui-même) appelait ces fausses nouvelles des "canards". Même qu'en 1915, des gens courageux, qui en avaient marre du bombardement d'informations bidon, eurent l'idée de se servir du mot pour fonder un nouveau journal, dont la raison d'être serait de contrer l'entreprise de propagande. 

On n'appelait pas encore ça "fake news", du moins en France. Ils ont donc passé les menottes aux poignets de la propagande : ce fut le Canard enchaîné. Je ne suis pas sûr qu'ils pensaient alors en finir une fois pour toutes avec les mensonges de presse : à leur échelle, ils élevaient une digue. Je ne suis pas sûr non plus que l'érection du nom commun dépréciatif en nom propre flamboyant n'ait pas signé l'arrêt de mort des "canards" comme "fausses nouvelles". Peut-être aurait-il fallu appeler carrément le journal "Le Mensonge interdit", qui est le vrai sens d'un "canard" dûment "enchaîné" ? Ou alors "La Vérité" ? Bon, on sait ce que les Soviétiques ont fait de ce titre : l'organe officiel ne fut-il pas, orgueilleux et trompeur, La Pravda (= la vérité, mais à prendre dans le sens novlinguistique) ?

L'enchaînement hebdomadaire de tous les "canards" en circulation prit son grand départ en 1916. Et comme on sait, le volatile cancane toujours au milieu du marigot informatif ses coin-coin qui traquent les harcèlements, agressions, viols incessants que subit la vérité dans les mondes économique, politique, journalistique et autres. Cela fait donc un peu plus d'un siècle que les huit pages imperturbables et satiriques paraissent tous les mercredis, alimentées par un réseau anonyme de collaborateurs bénévoles et bien placés, pour désintoxiquer les lecteurs de la presse des fumées ingurgitées. Comme disait en son temps un certain Robert Lamoureux, humoriste : « Et le vendredi suivant, le canard était toujours vivant ».

Et huit pages sans publicité, évidemment, tant il est vrai que laisser des annonceurs mettre leurs pieds au milieu des informations est en soi une garantie de bidonner l'information et de donner libre cours à tous les "canards" et, entre autres, à ce qu'on appelle aujourd'hui les "théories complotistes" ou "conspirationnistes". Bon, je n'idéalise pas la bête à plumes, dont je ne connais pas l'histoire secrète, si elle en a une. Je n'ai jamais croisé la route d'indiscrétions dévoilant des coulisses louches, excepté, peut-être, une brève incursion, il y a très longtemps, dont je n'ai gardé que l'inoffensif « Lapéla ? - Lapépala » du jargon maison (Jacques Laplaine, qui signait Lap, a dessiné pendant quarante ans pour Le Canard). Simple reportage. Cela ne mène pas loin.

Si j'avais une réserve à faire à propos du Canard enchaîné, ce serait à cause de l'effet à long terme produit sur le lecteur par la page 2, consacrée à la vie politique française, où s'étalent à loisir les petits et gros mensonges des uns, les calculs et manœuvres des autres, les trahisons, revirements, retournements de veste, palinodies, compromissions, dissimulations de tout le monde, et parfois des gens qui se présentent comme les plus intègres (voir l'affaire "Pénélope"). L'image qu'on se fait de ce que Raymond Barre appelait le "marigot" ressort forcément piteuse et peu ragoûtante de cette régulière accumulation de petitesses. Et ça ne plaide pas trop en faveur du droit des urnes à recevoir nos suffrages.

Plus généralement, l'exposé répété des turpitudes de toutes sortes d'individus ou d'entreprises a des effets délétères sur l'intérêt porté par le lecteur assidu au monde comme il boite. Pourtant, si Le Canard enchaîné n'existait pas, il est probable que ces individus et entreprises cesseraient aussitôt de redouter d'être contredits ou dévoilés, et se sentiraient alors de véritables ailes pour abreuver à leur gré de leurs boniments des médias dont ils sont, presque sans exception, les propriétaires (de toute façon, ils ne se gênent déjà pas trop pour enfumer).

Le ciel de la presse écrite ne tarderait pas à se peupler de ces canards complètement déchaînés. Et que plus personne ne serait en mesure de démentir. Ce serait une espèce inédite (et redoutable) de "libération de la parole". Il faut en effet, semaine après semaine, recouper les recoupements d'informations pour espérer "enchaîner" les "canards" (voir ici ou là les rubriques "intox / désintox", Libé, l' "Arrêt sur image" de Schneidermann, ...). Pour bien faire, tout journal sérieux devrait affirmer haut et fort que son premier souci déontologique est d'enchaîner les canards. Tout journal sérieux devrait pouvoir s'appeler Le Canard enchaîné ou Le Mensonge interdit. Décidément, Le Canard enchaîné est indispensable.

Alors pourquoi ne pas préférer "canard" à "fake news" ? Pourquoi les journalistes ont-ils adopté avec une telle unanimité le vocable transatlantique ? J'en ai une petite idée. Je me dis que, dans l'océan d'une presse en détresse, qui crie misère et appelle à son secours, tour à tour, les finances publiques et les grandes entreprises, les unes pour qu'elles la renflouent, les autres pour qu'elles lui achètent le plus d'espaces possible, Le Canard enchaîné est un îlot rarissime, si ce n'est unique (Charlie, ... qui d'autre ?). 

On nous jure, au Monde, à Libération et ailleurs, que la Société des journalistes est rigoureusement indépendante de la direction générale et de la direction commerciale, et que les contenus échappent donc totalement aux influences politiques et marchandes. Ouais ... Admettons, malgré le doute qui subsiste devant les dignités drapées et les déontologies outrées de ce reliquat de scepticisme malvenu. J'imagine qu'il y a des choses qui se négocient en douce. Mais même s'il en est ainsi, je me demande si les "chers confrères" qui travaillent ailleurs qu'à l'hebdomadaire satirique n'auraient pas, après tout, la bouche écorchée en prononçant le mot "canard", à cause du contraste.

Bon, c'est vrai que "canard" est un nom commun. Il signifie "fausse nouvelle". Mais qui le connaît comme tel ? Il est sorti de l'usage depuis trop longtemps : tout le monde associe "canard" et Canard. Le nom commun et le Nom Propre. Qu'un journaliste dénonce un "canard" paru chez un confrère, ne va-t-il pas se trouver accusé de s'attaquer à la liberté d'une presse satirique qui paraît le mercredi, ou pire : de lui faire de la publicité ? Le nom propre a fait sortir de l'usage le nom commun, voilà tout. Le coup inverse de ce qui s'est passé pour "sosie" et "amphitryon".

Le Canard enchaîné a confisqué le mot "canard", un peu comme (qu'on me pardonne le rapprochement) la promotion de la cause homosexuelle a interdit à presque tous les hommes de dire qu'il leur arrive d'être "gais" (tiens, au fait, encore un cadeau : merci, l'Amérique !).

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 13 janvier 2018

LACK MI "EN MARCHE"

Il existe à Strasbourg un lieu – cabaret, café, restaurant – qui ne ressemble à aucun autre. D'abord et principalement parce que c'est un lieu spécifiquement alsacien, dirigé depuis quelques décennies par un authentique Alsacien (il répétait sur tous les tons qu'il est « né-dans-le-val-de-Villé-la-plus-jolie-des-vallées », il a peut-être mis le refrain en veilleuse depuis le temps).

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Le village de Villé (67).

Le lieu, c'est La Choucrouterie, l'Alsacien s'appelle Roger Siffer. Il est recommandé de comprendre le dialecte de par là-bas, si l'on veut apprécier à sa juste valeur. Car l'un des derniers spectacles proposés perdrait beaucoup de son sel sans cela. Rien que le titre de ce spectacle est en effet une excellente illustration de l'humour alsacien, qui se distingue, comme on sait, par son exceptionnelle légèreté, sa subtilité sans égale et son parfait raffinement : « Lak mi "en marche" ».

Entendant la formule, l'alsacophone – bientôt rejoint par l'homme de goût, pour qui il a fallu traduire – éclate d'un rire complice et bon enfant, malgré la finesse de l'allusion. Son esprit affûté a compris qu'elle se réfère à la vie politique française telle qu'elle se présente depuis l'irruption du flamboyant Emmanuel Macron, tout en décalquant, moyennant une légère approximation due à l'accent de Strasbourg, n'en doutons pas, une expression dialectale que tout le monde connaît là-bas depuis qu'il sait ce que parler veut dire : "Lack mi am Arsch".

Mot à mot (le pudique Puitspelu du Littré de la Grand'Côte ajouterait "parlant par respect") : « Lèche-moi le cul ». L'alsacien est un idiome bourré d'images, et je connais des gens capables en le parlant de faire plier en deux un auditoire conséquent de gens sérieux, même si je ne comprends qu'un mot par phrase : le rire est contagieux, n'est-ce pas.

En oyant l'expression « Lack mi "En Marche" », votre pas se fait soudain plus allègre, cela vous donne tout de suite plus d'allant dans la démarche, et met un peu de piment dans l'assiette de l'innovation "disruptive" que constitue la "Révolution macronienne", en l'agrémentant de délicates fragrances et colorations irisées, voire moirées, du plus bel effet. Accessoirement, cela vous replace le bonhomme dont il est question à une altitude moins "jupitérienne". 

Ce que ne savent peut-être pas les Alsaciens eux-mêmes, c'est qu'un certain Wolfgang Amadeus Mozart a composé un canon, intitulé cette fois "Leck mich im Arsch", c'est-à-dire "Lèche-moi dans le cul". L'homme de goût aussitôt se récrie horrifié : comment est-ce possible, oubliant un peu vite que Mozart ne détestait pas la scatologie, comme on peut s'en rendre compte dans sa correspondance. Je me souviens en particulier de quelques lettres gratinées, adressées à sa sœur par le jeune prodige.


 

lundi, 30 octobre 2017

ÉGYPTE ET DROITS DE L’HOMME

Même les plus belles idées sont parfois défendues par des « bas-de-plafond », qui dès lors leur font courir le risque d’être disqualifiées dans l'esprit du plus grand nombre, et de n'être plus que des cadavres de slogans. Prenez les droits de l’homme, par exemple : qui ose aujourd’hui s’afficher en opposition ouverte et frontale avec ces grands principes ? Quel hurluberlu dictateur aurait le culot de publier qu’il condamne la liberté comme étant contraire à l’idée qu’il se fait de la dignité humaine ? Le dictateur soucieux de le rester ferme sa gueule sur les principes et s’efforce de ne pas faire trop de publicité quand il les piétine de ses grosses bottes dans la réalité. Le dictateur soucieux de le rester connaît, fût-ce par ouï-dire, l'existence des droits de l'homme, et il sait que ceux-ci sont prompts à lui tailler une réputation s'il fait mine de les ignorer. Or un dictateur, on ne le sait pas assez, ça tient à sa réputation : il tient à se faire respecter, au moins que les convenances soient respectées.

Prenez, je ne sais pas, moi, Saddam Hussein : quand il a gazé des milliers de Kurdes dans les années 1980, il ne l’a pas crié sur les toits. Prenez Kadhafi : lui, qui avait la dictature arrogante, ne détestait pas voir des photos de lui dans les magazines du « monde libre », mais quand il s’occupait de ses opposants, il se débrouillait pour que ça se passe dans l’intimité, sans témoins et à l’abri de toutes les curiosités mal placées. Dans les deux cas, malgré les précautions, les échos de diverses atrocités franchissaient la frontière et se mettaient à courir jusque dans les cercles, ONG et « associations » qui s’étaient donné l’humanisme pour raison sociale, faisant au dictateur une fâcheuse réputation.

Ces défenseurs des droits de l’homme ne cessaient d'alerter les médias. En vain. Tout le monde savait que ces gens n’étaient pas fréquentables, y compris les gens installés sur les échelons du haut des sociétés moralement insoupçonnables. Mais qui se disaient qu’il ne faut pas confondre les principes avec les affaires et la géopolitique, et que s’il ne fallait fréquenter que des gens fréquentables, le commerce international ne s’en remettrait pas. Pour dire le mot, ils se faisaient un raison.

Qu’est-ce qui a poussé l’équipe de George W. Bush à mettre le fusil sur l’autre épaule et à devenir des auditeurs attentifs des « cercles, ONG et associations » ? Certains racontent que les fabuleuses réserves de pétrole recelées par le sous-sol de l’Irak n’étaient pas étrangères à la décision d’intervenir. Pour décider les autres à faire de même, en général rétifs, Bush inventa, on s’en souvient, l’ « Axe du Mal » et les « Armes de Destruction Massive » : il fallait selon lui en finir avec un dictateur qui foulait aux pieds les « valeurs » et les « principes sacrés » sur lesquels étaient fondées nos démocraties. On voit encore aujourd’hui le caca que l’Amérique vertueuse et soi-disant droit-de-l’hommiste ("exporter la démocratie", qu'y disaient) a semé pour très longtemps dans la région.

En Libye, le même scénario s’est déroulé, à la nuance près que le prétexte fut, cette fois, le massacre imminent, par le dictateur, d’opposants bien intentionnés, et en général pacifiques ou tout au plus armés de pétoires, disait-on. Certains racontent cependant aujourd'hui que Sarkozy, qui flirtait plus ou moins, paraît-il, avec le dictateur, avait intérêt à éliminer la source de futurs ennuis judiciaires en France. Toujours est-il que, à cause identique, effets identiques : il a suffi à tous les groupes et groupuscules de la région de piocher dans les arsenaux surabondants de Kadhafi assez d’engins de mort pour constituer autant de petites armées incontrôlables. On voit encore aujourd’hui le caca que les vertueux ont encore une fois semé dans toute la bande saharo-sahélienne.

Dans les deux cas, on peut dire que, si les principes avaient raison, le terrain a montré qu’ils avaient tort : les principes sont une chose estimable, mais ils ne sont jamais confinés dans un éther abstrait ou dans un absolu hermétique à la bassesse des préoccupations humaines. Si le dictateur est une figure du Mal, on est bien obligé de se dire qu'il n'y a pas que le Mal : il y a aussi le Pire. Et dans le pire des cas, il n'y a pas de honte à laisser tomber les principes pour un peu de lucidité sur la réalité concrète. 

Alors l’Egypte, à présent. Que s’est-il passé ? Quelques vociférations peu audibles ont accueilli le maréchal Al Sissi, le président en place, lors de sa visite officielle en France. Moins en tout cas que celles qui avaient accueilli Kadhafi, quand Sarkozy l’avait laissé en toute liberté planter sa tente de bédouin du désert dans la cour du majestueux hôtel de Marigny, à deux pas de l'Elysée. Al Sissi est-il un dictateur comparable à ceux dûment estampillés tels par la « communauté internationale » ? Rien n’est moins sûr : l’Egypte n’est ni l’Irak, ni la Libye. Et surtout, elle pèse d'un poids décisif à cause de son emplacement stratégique.

Que son régime soit autoritaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Qu’il n’aime pas les opposants quels qu’ils soient, cela paraît clair, comme il est clair que le président ne fait pas grand cas des libertés individuelles. Mais pourquoi ai-je traité au tout début de « bas de plafond » les glapisseurs des droits de l’homme (André Breton et les surréalistes dénonçaient, eux, les « glapisseurs de Dieu », qu'ils envoyaient « à la niche », en 1948) qui se sont manifestés lors de la venue d’Al Sissi ? Parce que, pour ne pas encourir ce reproche, le minimum aurait au moins été de jeter un œil sur la situation égyptienne. Le droit-de-l'hommisme peut être très myope, car il se montre souvent incapable d'envisager la suite des événements. En clair : incapable d'envisager le Pire. Eh oui, disons-le : le dictateur est parfois un pis-aller.

Si l’on s’en tient au cahier des charges juridiques que s’efforce de remplir une démocratie, Al Sissi est un usurpateur, arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat, donc il est illégitime. Mais qu’est-ce qui a amené l’armée égyptienne, en dehors de ses intérêts économiques (considérables), à chasser du pouvoir Mohammed Morsi, le président élu, donc seul légitime ? Oh, sûrement pas un motif valable aux yeux du droit-de-l’hommiste de nos contrées : juste une succession de petits coups de force (une suite de coups d'Etat en miniature, parfois pas si miniatures que ça) commis, une fois élu, par Morsi et ses acolytes islamistes, par lesquels ceux-ci confisquaient à leur seul profit l’intégralité des pouvoirs politique, législatif et judiciaire, et qui avaient jeté, il ne faut pas l’oublier, des millions de protestataires dans les rues, réclamant l'intervention de l'armée.

Ce que préparaient les Frères musulmans en Egypte ? Certainement pas l’établissement d’une improbable et grande démocratie musulmane, mais ni plus ni moins qu’une jolie dictature religieuse intégriste, dans un pays proche de l'Europe et peuplé de plus de quatre-vingts millions d’habitants. La question que je pose aux droits-de-l’hommistes à cheval sur les principes est : qu’est-ce qui est préférable ? Le Mal, ou le Pire ? Saddam Hussein, ou le chaos présent ? Kadhafi, ou l’anarchie généralisée ? Un ordre injuste ou cette instabilité qu'on observe, et qui rend le monde de plus en plus dangereux ? L’armée égyptienne a-t-elle bien fait d’intervenir ? Je réponds oui : il y a les principes, et puis il y a les réalités politiques. Bêler aux principes face à l’offensive de l’islam rigoriste, ce n’est pas seulement de l’inconscience : c’est une mauvaise action.

On a assez vu en terre française ce qu’est capable d’accomplir l’islam des fanatiques pour ne pas en rajouter dans la surenchère des principes et des idéaux (qui croit encore à l'expression « la France patrie des droits de l'homme » ? Redescendons sur terre). Je m’étonne en passant que le droits-de-l’hommiste chargé de ses nobles intentions ne soit pas descendu dans la rue tout récemment pour défendre l’état de droit, que met à mal la nouvelle loi voulue par Macron et adoptée par les députés que ce DRH a embauchés, et qui fait entrer dans le droit ordinaire des dispositions de l’état d’urgence, pérennisant et banalisant une législation d’exception. A tant faire que de combattre pour les droits de l'homme, autant commencer par chez nous, non ? Réponse : ben non ! Les Français sont trop occupés à trembler pour leur sécurité pour penser à protéger l'état de droit. L'état de droit, c'est bon pour les Egyptiens !

samedi, 14 octobre 2017

QU'EST-CE QU'UN POLITICIEN ...

... DANS LES DICTIONNAIRES ?

Qu’est-ce qu’un politicien, en France, aujourd’hui ? Comment définir les individus qui en ont fait un métier et qui y font carrière ? C’est entendu : à l’instar d’un bien connu, quoique très controversé, chef de l’éphémère « Etat français », ils ont un jour héroïquement choisi de « faire don de leur personne à la France ». C’est du moins, en substance et en filigrane, ce qu’on entend quand ils évoquent, de l'air de fierté modeste qui n'appartient qu'à eux, la noblesse et la profondeur des motivations qui les habitent. Tels Jeanne d’Arc, ils se sont sentis appelés à vouer leur existence au service de la nation. Ils obéissent à une véritable vocation, ce qui les autorise, pensent-ils, à affirmer qu’ils accomplissent une mission. On est prié de ne pas douter ou ricaner.

Ce portrait est un peu chargé, j’en conviens, si on le rapporte, par exemple, à la définition qu’en donne le petit Larousse 2005 (édition du centenaire confiée, pour la déco, à Christian Lacroix, s’il vous plaît, c'est très chic) : « Personne qui fait de la politique, qui exerce des responsabilités politiques ». Il est vrai que le PLI ajoute aussitôt : « adj. Péjor. Qui relève d’une politique intrigante et intéressée », mais sans insister davantage. Le Grand Robert observe à peu près une neutralité comparable. Le Nouveau Larousse illustré (en sept gros volumes, 1903-1907) va à peine plus loin dans la prise de risque (quoique …) : « Personne qui s’occupe de politique. (Ne se dit guère qu’en mauvaise part) : On voit des politiciens de village régenter le monde ». Peu glorieux, en somme.

On en apprend plus dans le Robert « historique » (1992), qui envisage le mot comme nom et adjectif : « est emprunté (1779), avec adaptation du suffixe, à l’anglais politician n. (XVI° s.) qui désignait autrefois une personne intriguant en politique avant de désigner une personne versée en politique (1628) et, surtout en américain, une personne qui fait profession d’activités et d’intrigues politiques. Politician est dérivé de politic adj. lui-même emprunté au XV° s. au français politique. ◊ Le mot apparaît chez Beaumarchais (1779), déjà avec une nuance péjorative, associé au dépréciatif politiqueur. Il ne sera repris qu’en 1865 sous la forme anglaise politician, francisée en politicien (1868), appliqué à un contexte américain avant d’être acclimaté (1898) au contexte français. Employé adjectivement (1899), il n’était pas encore très courant ni même très admis vers 1900, où l’on trouve la variante politicier. Politicien est devenu courant, tant comme nom que comme adjectif, aujourd’hui avec une nuance péjorative (politique politicienne) ». On a compris que nul, dans la classe politique, ne peut considérer, même aujourd’hui, comme un compliment d’être qualifié de « politicien ».

On appréciera "dépréciatif" et "nuance péjorative" à leur juste valeur. Tout cela, évidemment, n’est pas rien, mais l’origine du mot ne développe toutes ses fragrances subtiles et délectables (je veux parler des « connotations ») nulle part ailleurs que dans le Littré : « Nom, aux Etats-Unis, de ceux qui s’occupent de diriger les affaires politiques, les élections, etc. Une municipalité sans foi [à New-York] a, dans maintes rencontres, impudemment empoché l’argent des contribuables pour le partager avec les politiciens qui l’avaient nommée, L. Simonin, Rev. des Deux-Mondes, 1er déc. 1874, p. 677. Une autre cause de dissolution [des Etats-Unis] à ses yeux, c’est l’influence des politiciens, sortes de déclassés des carrières régulières, se faisant une profession lucrative de la politique, Journ. Offic. 6 fév. 1876, p. 1079, 2° col. Channing frémit à l’idée de confier aux politiciens le soin de former et de façonner l’esprit public : les politiciens, dit-il, ne considèrent les hommes qu’à un seul point de vue : comme les instruments de leur ambition ; ils n’ont pas le savoir, la réflexion, le désintéressement qui doivent présider à un bon système d’éducation, Paul Leroy-Beaulieu, Journ. des Débats, 25 août 1876, 3° page, 6° col. ».

On voit par là que, « le temps passant sur les mémoires » (Tonton Georges) et le mot s’acclimatant en terre française, celui-ci a bien pris soin d’édulcorer les miasmes infamants de sa substance héritée de la pas si lointaine Amérique : si le mot n’est pas un compliment, il n’en est pas injurieux pour autant. On peut sans doute le regretter. Et dire que les politiciens s’étonnent aujourd’hui d’être souvent vilipendés ou haïs par la population : qu’on leur donne à lire l’article du Littré, ils verront de quelle fange ils sont issus !

Et je me dis que si l’on rapproche le sens établi par le grand linguiste (ou plutôt : lexicographe) du portrait que Balzac dresse des journalistes parisiens dans Illusions perdues, quarante ans avant, on est saisi du résultat de l’opération : il n’y en a pas un pour racheter l’autre, et tous se traînent dans une veulerie et une vénalité propres à dégoûter l’honnête homme d’ouvrir encore un journal. Le plus étonnant dans tout ça est cependant si l’on se remémore ces deux origines quand on observe l’air d’autorité que se donnent les princes des journalistes (genre Alain Duhamel ou Laurent Joffrin, vous savez, ceux qu'on appelle "éditorialistes", au résumé des propos desquels se réduisent bien souvent les (soi-disant) "revues de presse") quand ils délivrent analyses et oracles du haut de la chaire où ils se sont hissés. Un air qui n’a d’égale que la suffisance, l’arrogance et la certitude qu’affichent nos politiciens quand on leur présente un micro.

C’est me semble-t-il dans Lazarillo de Tormès, délicieux roman picaresque espagnol de 1554, qu’on trouve le portrait d’un gueux qui, voulant paraître gentilhomme, est obligé de se couvrir le dos d’une cape ou de se présenter de face vers les autres, au motif que l’arrière miteux et mité de son habit lui laisse les fesses à l’air.

On ne devrait jamais oublier Lazarillo de Tormès quand on assiste au spectacle donné par journalistes et politiciens dans l’exercice de leurs fonctions. A quelle considération spéciale ont-ils la prétention d'avoir droit de la part du public ? On aimerait davantage d'humilité, si au moins c'était possible.

Voilà ce que je dis, moi.